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de la matière étendue ; ne pouvait-on pas ici encore et plus justement peut-être les associer ? « La puissance de bien juger, disait Descartes, est naturellement égale en tous les hommes ; » n’était-ce pas en matière philosophique la même idée que professaient Luther et Calvin en matière théologique ? Si maintenant, par sa théorie de la véracité divine, Descartes donnait « à tous les hommes » l’assistance de Dieu en matière de philosophie, comme Luther et Calvin promettaient aux lecteurs de la Bible l’assistance de l’Esprit Saint, n’y avait-il pas là un nouveau point de contact qui peut très bien avoir frappé l’esprit de Descartes et qu’il a dû soigneusement éviter de mettre en lumière ? M. Secrétan l’a bien vu : « l’évidence intérieure opposée à toute espèce d’autorité, c’est le protestantisme introduit dans la philosophie[1]. » La Protestation des Luthériens en 1529, le Discours de la méthode en 1637, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1790, sont les trois actes d’un même drame dont le dénouement doit être le renversement de toute autorité et la divinisation du sens individuel. La Protestation nie l’autorité religieuse, le Discours de la méthode l’autorité philosophique, la Déclaration des droits l’autorité politique ; chacun de ces trois actes érige dans son domaine le sens individuel en maître absolu. Le Discours de la méthode est le nœud de ce drame qui s’appelle la Révolution, et Descartes a certainement vu les conséquences politiques de son œuvre. Je n’en veux pour preuve que les précautions qu’il prend pour qu’on ne soit pas tenté de les lui attribuer[2]. Nous ne croyons pas que Descartes

  1. Philosophie de la liberté, t.  I, p. 118.
  2. « Il y a de grandes difficultés en la réformation des moindres choses qui touchent le public. Ces grands corps sont trop malaisés à relever étant abattus, ou même à retenir étant ébranlés, et leurs chûtes ne peuvent être que très rudes. Puis, pour leurs imperfections, s’ils en ont, comme la seule diversité qui est entre eux suffit pour assurer que plusieurs en ont, l’usage les a sans doute fort adoucies, et même il en a évité ou corrigé insensiblement quantité, auxquelles on ne pourrait si bien pourvoir par prudence, et enfin elles sont quasi toujours plus supportables que ne serait leur changement ; en même façon que les grands chemins, qui tournaient entre des montagnes, deviennent peu à peu si unis et si commodes, à force d’être fréquentés, qu’il est beaucoup meilleur de les suivre que d’entreprendre d’aller plus droit en grimpant au-dessus des rochers et descendant jusqu’au bas des précipices.

    « C’est pourquoi je ne saurais aucunement approuver ces humeurs brouillonnes et inquiètes, qui, n’étant appelées ni par leur naissance ni par leur fortune au maniement des affaires publiques, ne laissent pas d’y faire toujours eu idée quelque nouvelle réformation ; et si je pensais qu’il y eût la moindre chose en cet écrit par laquelle on me pût soupçonner de cette folie, je serais très marri de souffrir qu’il fût publié. « (Disc. de la mét., 2 part., nos 2 et 3, t.  I, p. 14.)

    Si vous croyez Descartes sincère, continuez la lecture : « Jamais mon dessein ne s’est étendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées et de bâtir dans un fonds qui est tout à moi. Que si mon ouvrage m’ayant assez