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alors que Descartes se rend raison de « sa répugnance à concevoir que ce qui pense n’est pas véritablement au même temps qu’il pense, » et que, synthétiquement cette fois, il prouve par cette majeure la vérité de son existence[1].

Il faut donc dans ce cas encore distinguer trois moments dans l’évolution de la pensée cartésienne : 1o Pour penser, il faut être, proposition très simple, à termes identiques, qui ne fait connaître rien qui existe, simple régulateur de la pensée subjective, dirait Kant ; 2o Je pense, donc je suis, fait d’expérience où l’existence réelle est unie à la pensée réelle ; 3o Ce qui pense est véritablement au même temps qu’il pense, loi générale et objective des expériences ultérieures, dernier terme de l’analyse et principe de la synthèse.

Ainsi, des deux passages des Principes que nous avons cités, l’un donne au Pour penser il faut être une valeur purement idéale, qui ne peut pas laisser prise à l’accusation de pétition de principe ; l’autre est la démonstration synthétique de l’existence découverte dans les Méditations par analyse. De sorte que Descartes a parfaitement raison de dire que, ni dans les Méditations, ni dans le Discours de la méthode, « il n’a déduit son existence de sa pensée par la force de quelque syllogisme », mais qu’il a aperçu son existence liée à sa pensée par une simple inspection de l’esprit. » — Ici en effet, il se servait de l’analyse et allait du fait : Je pense, donc je suis, à la loi : Tout ce qui pense existe.

Mais les adversaires de Descartes n’ont pas eu tort de soutenir que c’était cette majeure sous-entendue qui faisait la véritable force du : Je pense, donc je suis. Sans elle, en effet, la synthèse ne pourrait s’opérer, cette synthèse qui doit prendre une forme dialectique et déduire du général le particulier, de la loi le fait. Le Cogito, ergo sum, n’est pas un raisonnement pendant la première partie du mouvement méthodique ; c’est un fait, un simple fait, le fait de la liaison de l’existence à la pensée, fait qui conduit à la constatation de la loi générale qu’il enveloppe : Tout ce qui pense existe ; mais, pendant la seconde partie de ce mouvement, cette loi devient la majeure, Je pense, la mineure, et Je suis, la conclusion d’un véritable syllogisme en Barbara[2]. Il n’y a évidemment là rien de contradictoire ; bien

  1. Principes, 1re partie, No 7, t.  I, p. 230.
  2. Ces mêmes idées sont fort bien exprimées dans l’Histoire de Descartes avant 1637, par Millet, pp. 207-209, 1 vol. in-8o. Didier, 1867. — Millet a l’air d’emprunter à Régis plutôt qu’à Descartes la déduction synthétique. Voy. Régis, Métaphysique, l. I, 1re partie, chap.  XI, t.  I, p. 96. — Des idées analogues se retrouvent dans Veitch, The method of Descartes, analysé ici même (No de juillet 1881), ainsi que dans les remarquables éclaircissements dont M. Brochard a fait suivre son édition du Discours de la méthode, in-18. Germer Bailliére, 1881.