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pelle qu’après avoir trouvé la véritable cause de ces phénomènes, Anaxagore, comme si sa théorie avait été insuffisante pour rendre compte de toutes les observations, conservait encore ces astres obscurs comme cause possible d’éclipses de lune[1]. Qu’on se rappelle que les Pythagoriciens attribuèrent le même rôle à leur antichthone[2]. On reconnaîtra aussitôt dans l’hypothèse d’Anaximène, un stade nécessaire pour la découverte de la vérité.

Le progrès scientifique que marque cette hypothèse, consiste en ce que les phénomènes qu’elle cherche à expliquer, sont reconnus comme périodiques et susceptibles de prédiction. Le système d’Anaximandre avait à cet égard négligé la tradition de Thalès, qui trouve ici, pour la première fois, sa conséquence légitime.

Cette hypothèse enfin devait naturellement conduire à la véritable explication. Car si l’on se demandait comment ces corps obscurs n’étaient point vus, la question de leur éclairement par le soleil se posait, et il était facile de reconnaître que dans les conditions les plus générales, les phénomènes qu’un tel corps obscur devrait présenter seraient tout à fait semblables aux phases de la lune. D’où, pour reconnaître que cet astre est obscur par lui-même, il n’y avait plus : qu’un pas à faire. Son rôle dans les éclipses de soleil s’en déduisait dès lors facilement, tandis que la question d’éclairement par le soleil pendant la nuit faisait naturellement mettre en jeu l’ombre de la terre et conduisait ainsi par là à la découverte de la cause des éclipses de lune.

L’hypothèse d’Anaximène présentait donc un véritable caractère scientifique ; elle constitue pour lui un titre de gloire d’autant plus sérieux qu’elle semble témoigner, chez ce physiologue, d’une originalité propre, ce que ses autres opinions indiqueraient beaucoup moins.

L’importance de cette hypothèse dans son système cosmologique ressort au reste de la cause à laquelle il fut conduit à attribuer l’immobilité de la terre. Il lui fallait nécessairement se représenter ces corps de nature terreuse comme supportés par l’air ; il les supposa très plats pour expliquer la possibilité de cet effet. Cette explication trouvée, il dut naturellement l’appliquer sans plus à la terre, qui à ses yeux ne différait de ces astres que par sa situation au centre du tourbillon

  1. Théophraste dans Stobée (eclog. I, 21). Doxographi Græci, p. 360 et 493.
  2. Aristôte dans Stobée. Doxographi Græci, p. 360.