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TARDE. — la statistique criminelle

courbe commence à s’abaisser vers 1855 seulement, c’est-à-dire vers l’époque où la mode en question a commencé à se propager. Dans le détail des diverses natures de crimes, la preuve est plus frappante encore. C’est sur les vols qualifiés, c’est sur les viols et attentats à la pudeur contre des adultes qu’a surtout porté la diminution des accusations. Mais c’est précisément sur ces faits que s’est le plus exercée la correctionnalisation. Aussi, au moment où ils désencombrent la colonne des crimes, ils grossissent celle des délits, et, pendant que les attentats à la pudeur sur des adultes diminuent de moitié à partir de 1855, après avoir augmenté jusqu’alors, les outrages publics à la pudeur ont éprouvé de 1855 à 1860 une augmentation subite, frappante au milieu même de leur rapide augmentation continuelle (laquelle a été de 302 à 2,572 dans notre période demi-séculaire). Même observation pour les vols. Les vols domestiques notamment ont diminué des deux tiers (dans la colonne des crimes) depuis 1826, quoique le nombre des gens à gages ait considérablement augmenté. Est-ce à dire que les valets et les servantes sont devenues plus fidèles ? Gardez-vous de cette illusion, et regardez à la colonne des vols simples, qui ont bien plus que doublé. — Pour les faux, idem ; ils se multiplient, je crois, chaque jour, mais on les baptise le plus possible escroqueries, nature de délit qui a plus que triplé. Pourtant, tous les crimes ne sont pas propres à être correctionnalisés ; il est impossible ou difficile d’étendre le bénéfice de cette indulgence aux attentats à la pudeur sur des enfants (presque toujours commis par des gens âgés), aux assassinats, aux incendies volontaires, aux banqueroutes frauduleuses et, à vrai dire, aux crimes dignes de ce nom, qualifiés tels dans la langue commune. Par suite, que voyons-nous ? Ces crimes-là s’accroissent constamment, accroissement significatif et malheureusement noyé dans le calcul de la diminution d’ensemble. Quelques chiffres : les viols et attentats à la pudeur sur des enfants ont marché de 136 à 809, les assassinats de 197 à 239, les incendies de 71 à 150, les infanticides de 102 à 219. En général, les crimes contre les personnes sont bien moins faciles à correctionnaliser que les crimes contre les propriétés. Or nous voyons que la courbe des premiers, à travers de hauts et des bas, ne s’abaisse point dans son ensemble, et même s’élève un peu, quoique la correctionnalisation l’affecte aussi dans une certaine mesure.

La diminution de la grande criminalité a donc porté principalement sur les crimes contre les propriétés. C’est le contraire qui aurait eu lieu si cette diminution eût été autre chose qu’un escamotage. En effet, durant ce mouvement, la France s’est enrichie et instruite. Or