mier chant du coq, ou, si le coq semble lui-même suspect de libre arbitre, je tirerai la boule toutes les fois qu’une pierre roulera d’un roc voisin où les éboulis sont très fréquents. Mon libre arbitre sera ainsi, autant que possible, éliminé, et cependant le résultat sera le même.
C’est qu’à vrai dire tout est déterminé, même dans les cas de libre arbitre apparent, et, puisqu’on met les déterministes « au défi » de faire comprendre cette détermination dans les jeux de hasard, essayons de l’expliquer en effet par le raisonnement et par l’expérience. Il y a ici une loi intéressante et méconnue, au moyen de laquelle on peut montrer que la recherche de l’indétermination par la volonté produit précisément une détermination réelle. Quand je tire des boules dans une urne, par cela même que je veux tirer au hasard, j’avance la main tantôt plus à droite, tantôt plus à gauche ; j’épuise dans les deux sens les principales positions possibles grosso modo, et en voulant agir d’une manière indéterminée, je détermine une balance de positions possibles. De même encore, dans une loterie où le temps seul est déterminé, j’essaye de varier les instants, et par cela même je saute d’un intervalle à l’autre, d’un nombre à l’autre, entre deux limites plus ou moins distantes, de manière à produire un balancement de nombres. En ayant l’air ici de laisser le temps indéterminé et en le variant dans cette intention, je l’ai encore en réalité déterminé : j’ai voulu et déterminé une bipartition des intervalles de temps en longueurs plus grandes et en longueurs plus petites, mais entre des limites déterminées ; j’ai voulu et déterminé un équilibre, une égalité, une compensation[1].
- ↑ Voici une expérience que nous avons faite : nous avons essayé d’écrire au hasard des séries de chiffres pris indifféremment parmi les 10 chiffres 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9. En additionnant par groupes de dix les chiffres ainsi sortis, nous avons obtenu pour chaque groupe de dix chiffres des valeurs plus ou moins voisines de 45, qui est précisément la somme des 10 chiffres de la numération. Ex : 1, 6, 5, 4, 8, 9, 7, 3, 2, 0 (total 45) ; 1, 4, 6, 8, 2, 9, 1, 4, 5, 7 (= 47) ; 9, 8, 5, 6, 7, 9, 1, 0, 2, 4 (= 45) ; 5, 6, 7, 9, 8, 0, 3, 4, 4, 6, (= 49) ; 8, 9, 0, 6, 1, 3, 5, 6, 8, 9 (= 55) ; 7, 8, 7, 0, 9, 1, 3, 1, 0, 2 (= 38). Ces totaux successifs 45, 47, 46, 49, 55, 38 ont pour moyenne 46. En additionnant deux groupes à la fois formant vingt chiffres, nous obtenions plus régulièrement encore des valeurs voisines de la somme 90. Pourquoi ces résultats ? Parce que, pour agir d’une manière indéterminée en apparence, nous avions inconsciemment déterminé ce premier point : — Je varierai les chiffres. — Ce qui entraîne cette seconde détermination : Je les écrirai tous. — Ce qui entraîne cette troisième détermination : — J’écrirai des chiffres ayant pour total 45, puisque l’ordre des chiffres dans l’addition n’influe pas sur la somme. Si bien que, en voulant laisser un point indéterminé, je l’avais précisément déterminé. Par là, j’étais rentré dans les conditions entrevues par le géomètre Lambert et par Cournot, qui ont remarqué que, dans le rapport de la circonférence au diamètre, les totaux de chaque dizaine de chiffres différent peu de 45, « comme si les chiffres étaient amenés successivement, par un tirage au sort,