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Tout revient donc à chercher les raisons objectives qui nous permettent, dans certains cas, d’établir un rapport d’égalité entre des possibles.

C’est ici que nous retrouvons en présence les deux hypothèses de la contingence et de la nécessité. Les partisans de la contingence disent : — Vous cherchez un fondement objectif à légalité des possibles ; il est tout trouvé : c’est l’ambiguïté des futurs, c’est l’indétermination des futurs, qui va se vérifier dans l’indéterminisme de la volonté. Je tire des boules dans une urne où il y a 100 blanches et 100 noires, je les tire tantôt à un moment, tantôt à un autre, selon ma liberté imprédéterminée ; tout est alors déterminé, « sauf le temps de l’extraction[1], » lequel dépend de mon libre arbitre. Les éléments du calcul sont en conséquence : 1o l’égalité des chances pour tirer une boule blanche ou une noire, toutes choses égales d’ailleurs, puisqu’il y a 100 blanches et 100 noires ; 2o l’égalité des chances pour faire l’extraction à un moment ou à un autre, si le moment ne dépend que de ma liberté indéterminée. Or, ces principes posés, il se trouve qu’en fait les chances pour un moment ou pour l’autre se compensent, comme si les extractions étaient en chaque moment également possibles ; donc elles le sont en fait ; donc les divers temps d’extraction sont également possibles pour ma volonté ; donc il est probable que je suis libre. « L’homme est alors une source première et instantanée d’actes variables sous des précédents identiques[2]. »

Une chose inquiète à la lecture de ce raisonnement, qui nous fait gagner à la loterie ce gros lot : la liberté ! Un mannequin mû par une girouette tournant à tous les vents, et dont le mécanisme serait disposé pour faire sortir ou tomber de l’urne une seule boule à la fois, nous apparaîtrait aussi comme « une source première et instantanée d’actes variables sous des précédents identiques », tranchons le mot, comme un créateur d’actes libres. Sans faire appel à un tel mécanisme, je puis moi-même rendre déterminé le seul élément du problème qui restait indéterminé (le moment de l’extraction), sans que change pourtant ce résultat qui vous semblait contingent. Convenons par exemple, que je tirerai une boule tous les matins au pre-

  1. M. Renouvier, id., 97.
  2. ibid. Dans la nature entière, et non pas seulement dans l’homme, on s’est demandé s’il n’y avait pas également place pour une contingence analogue. Et la question est logique ; si l’homme est libre, le germe de la liberté doit se retrouver chez tous les êtres vivants, peut-être même, comme le croyait Épicure, jusque dans le pouvoir de clinamen qui appartient à l’atome (Voir, dans la Morale d’Épicure par M. Guyau, le chapitre sur la contingence). Est-il bien sûr, a-t-on demandé, qu’il soit possible, même pour une intelligence universelle, de prédire tous les mouvements de la queue d’un chien ? (M. Renouvier, Essai de psychologie, II, p. 4.)