qui ne leur était pas essentiel. Éclairés par les rayons émanés de la loi morale, nos actes la réfléchissent mais n’ont point tous même pouvoir réfléchissant. En veut-on la preuve ? Ne sait-on jamais rien des intentions d’autrui, et ces intentions n’apparaissent-elles jamais clairement au travers des actes ? En un sens, la fin justifie les moyens, car il existe entre les moyens et la fin une relation plus étroite qu’on ne pense. Les réalistes protesteront, mais ils auront tort, car eux aussi admettent implicitement la maxime tant de fois condamnée ; pour eux, les fins à atteindre ne sont pas seulement subjectives, comme dans le formalisme ; elles sont encore objectives, et elles le sont au premier chef. Les défenseurs du conceptualisme moral, au contraire, ne prescrivent aucune démarche déterminée. Ils permettent l’abstention dès qu’il y a l’ombre d’un doute. En cas d’ignorance, laissons faire l’instinct, si, par suite des lois de la nature, une décision est absolument indispensable. L’instinct sera-t-il infaillible ? Il le sera d’autant plus qu’il s’inspirera des mœurs et des usages régnants. Fais ce que dois. — Je le ferais si je le savais ; mais je l’ignore. Dans le doute abstiens-toi. — Impossible ; il faut agir. — Alors fais comme les autres. — Est-ce bien là ce que M. Vallier veut nous faire entendre ?
Dans ces conditions, il n’est point de spontanéité morale. Le contenu de la conscience n’est point donné une fois pour toutes. On peut avec les évolutionnistes admettre que nos idées morales se forment petit à petit et que la connaissance de ce que les stoïciens appelaient les « choses préférables » est l’œuvre d’une acquisition tout à la fois lente et laborieuse. Lente, cela va de soi ; laborieuse, cela est incontestable, tant il se fait de changements dans les mœurs. Placés dans un monde d’origine immorale, nous devons en subir les lois ; nous ne pouvons que le transformer dans une certaine mesure et à mesure.
On sait, maintenant, qu’au point de vue moral, nos actes ne sont pas tous également admissibles. Donc la science morale, malgré qu’elle soit difficile, n’est point une science vaine. Son objet sera de nous indiquer sur quelles actions doit porter notre choix. Sa méthode sera de consulter le cœur humain et d’opérer parmi nos penchants naturels une véritable sélection. La science de la morale reposera donc, en partie du moins, sur l’étude des inclinations. Kant va protester, dirions-nous à M. Vallier, si l’auteur, prévenant nos craintes, ne les dissipait à l’aide d’un texte. Kant, dans ses Observations sur le sentiment du beau et du sublime, admet qu’il existe des inclinations plus favorables que d’autres à la pratique du devoir : telles sont, la pitié, la complaisance ; il va même jusqu’à leur donner le nom de « vertus adoptives ».
Kant s’est peut-être montré inconséquent : n’importe. L’inconséquence profite au disciple et lui fournit une excellente étude de psychologie morale. Laissons au lecteur le soin d’en apprécier les détails et de rendre hommage au talent très personnel et très distingué de l’écrivain ; les conclusions du chapitre nous préoccupent avant tout, et celles-là nous les avions pressenties. Les inclinations de choix devront