Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
45
SÉAILLES. — philosophes contemporains

dictions insolubles, opposer au sujet l’objet qui lui doit l’existence. La seule réalité n’est-elle pas l’esprit qui, en conciliant ses lois avec les formes de la sensibilité, crée le monde ?

V

Si tout est phénomène, l’esprit n’est que l’ensemble des fantômes qui se jouent en lui ; il peut à tout instant s’évanouir comme eux. Derrière les apparences, imaginerons-nous pour nous rassurer des substances, des êtres ? À quoi bon, puisqu’ils nous sont cachés, puisque nous ne saisissons toujours que des apparences ? « Des choses en soi, on ne sait rien, pas même qu’elles sont explicables ; au contraire, on est sûr que tout est intelligible, si les choses sont des phénomènes, dont l’explication puisse être tirée de l’existence que nous sommes… Mettre l’existence en dehors de la pensée, c’est se condamner à ne pouvoir la ressaisir, C’est ouvrir toutes portes au scepticisme[1]. » La dialectique négative, en nous chassant des faux systèmes, nous enferme dans cette conclusion : l’objet ne peut être produit que par le sujet ; la seule réalité, c’est la pensée. Par l’analyse réfléchie de la pensée dans ses rapports avec l’objet qu’elle se donne, la dialectique positive confirme cette vérité féconde, à laquelle tout se ramène, parce que tout en rayonne.

En se développant elle-même, en déployant ses richesses intérieures, en tirant de soi la science et la réalité, la pensée fait la preuve de son existence absolue. Si tout disparaît avec elle, si elle crée l’être et la connaissance, n’est-ce pas qu’il n’y a rien en dehors d’elle, qu’elle est tout ce qui est. « Si le monde extérieur existe, parce qu’il est pensé, la pensée existe bien plus elle-même et en quelque sorte fait exister tout le reste. La pensée n’est pas un être, elle est l’être même… La substance inconnue, la cause suprême n’est que la pensée, le moi dans sa puissance absolue de connaître et de vouloir[2]. » Tant qu’on laisse subsister une matière étrangère à la pensée, toute certitude est provisoire ; il y a toujours des révoltes, des surprises possibles. Rien ne garantit que le monde ne se soustraira pas brusquement aux lois de la conscience. La dialectique ne laisse que l’intelligible en ne laissant que l’intelligence. Tout étant raison, tout nous devient lumière. Il n’y a plus de mystère, plus

  1. Cours de logique, leç. XVII : Du scepticisme.
  2. Logique, XVe leçon : De la conscience pure de soi-même.