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fonsegrive. — les prétendues contradictions de descartes

effet elle avance peu les choses. La certitude subjective n’est que l’état de l’esprit quand il est certain. Or l’esprit a beau être subjectivement certain ; s’il ne l’est pas objectivement, il ne sait jamais rien ; en particulier, il ne connaît jamais l’existence d’aucun être, pas même le sien propre ; il peut constater ses phénomènes, il ne peut affirmer son moi ; il peut dire : Je pense, il ne peut pas dire : Je suis, surtout il ne peut pas ajouter avec Descartes : Je suis une substance pensante. Pour Descartes, comme pour tous ses contemporains, la certitude subjective n’est une vraie certitude que quand elle est objective[1]. L’esprit n’est certain que lorsque ses idées correspondent aux êtres. C’est ainsi que Descartes établit une sorte d’équation entre des termes purement psychologiques comme certitude, des termes à la fois psychologiques et ontologiques tels que idées claires et distinctes, évidence, enfin des termes purement ontologiques, comme notions générales, natures simples et absolues.

De deux choses l’une : ou Descartes croit à la vérité objective de quelque idée en dehors de la garantie divine, ou il n’y croit pas. Mais, s’il n’y croit pas, comment a-t-il pu croire à sa propre existence, se démontrer l’existence de Dieu ? et, s’il y croit, d’où vient qu’il fonde expressément la certitude de l’évidence sur la véracité divine, de sorte qu’on ne peut véritablement rien savoir, si l’on ne croit pas en Dieu ? On voit donc que la distinction d’une évidence subjective qui se garantirait elle-même, et d’une évidence objective, qui aurait besoin de Dieu pour caution, n’est pas fondée.

Voici enfin une dernière explication. Elle nous est fournie par M. Liard. Le Cogito, ergo sum nous donne l’existence réelle du moi. Je pense, et je suis en même temps que je pense. Or, parmi ces pensées que je pense, en dehors de la mienne propre, il y en a de deux sortes : les unes me paraissent porter avec elles une simple possibilité d’existence ; les autres, l’autre, devons-nous dire, — car en réalité il n’y en a qu’une, — me paraît porter avec elle la nécessité” de son existence. Les premières peuvent être, et je suis porté par le témoignage de mes sens à croire qu’elles existent. Mais rien ne m’en assure encore. J’en détourne alors mon esprit pour considérer cette autre pensée qui porte avec elle la nécessité de son être. Cette pensée est l’idée de perfection. Dès là que l’être parfait est pensé, il

  1. « Je dis que la pensée d’un chacun, c’est-à-dire la perception ou connaissance qu’il a d’une chose, doit être pour lui la règle de la vérité de cette chose. » (Lettre à Clerselier, no 10, t.  II, p. 334.) Et Descartes soutient ailleurs que « du connaître à l’être la conséquence est bonne ». Rép. aux VIIe object. n° 49, t.  II, p. 170.)