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de l’existence pensante à l’existence. Mais Descartes n’admettrait pas que ce soit là une tautologie sans profit. Il soutiendrait que faire voir que certaines vérités sont contenues dans d’autres vérités, ce n’est certainement pas les inventer, les faire naître, les créer, mais que c’est les découvrir, c’est-à-dire les montrer à l’esprit et véritablement les faire naître pour lui[1]. Analyser par conséquent une vérité, ce n’est pas piétiner sur place, c’est au contraire avancer, progresser en la vérité, puisque nous découvrons des choses qui ne nous étaient pas primitivement connues.

Ceux donc qui soutiennent que Descartes a fait un enthymème sont en opposition avec les dénégations formelles du philosophe ; ceux qui lui reprochent un paralogisme consistant à passer de la pensée phénoménale au moi substantiel n’ont pas vu peut-être que le Je pense renferme aussi bien que le Je suis l’affirmation d’une substance ; ceux enfin qui reprocheraient à Descartes une tautologie s’exposeraient à ne pas comprendre sa pensée intime et à nier la valeur logique de toute analyse. — Les adversaires de Descartes sont donc des interprètes inexacts de sa pensée. Ses amis, ses défenseurs l’ont-ils mieux comprise et interprétée ?

Un des premiers, Régis, dans sa réponse à Huet, soutient que Descartes, dans le : Je pense, donc je suis, n’a nullement fait un syllogisme, et il l’explique comme le fait Descartes dans les Réponses aux objections.

Dans sa savante Histoire de la philosophie cartésienne, M. Francisque Bouillier se contente de rapporter le passage des Réponses aux objections que nous avons cité plus haut, et conclut sans plus de discussion : « Descartes n’a nullement songé à déduire son existence de quelque fait antérieur, il n’a point donné une démonstration, il a posé un axiome[2]. »

Personne d’abord n’a jamais reproché à Descartes de déduire son existence d’un fait antérieur, mais bien d’une idée, d’une vérité antérieure, ce qu’il semble admettre lui-même dans les passages du Discours de la Méthode et des Principes que nous avons rappelés. Il est étonnant de plus de trouver sous la plume d’un homme aussi autorisé que M. Bouillier l’appellation d’axiome pour désigner le Cogito, ergo sum. Un axiome est une vérité générale qui s’exprime en une seule proposition, le Cogito est un fait singulier qui a besoin de deux propositions pour se développer. On peut l’appeler un prin-

  1. C’est la réponse même que font aujourd’hui encore les logiciens à ceux qui, comme Stuart Mill, nient la valeur des procédés déductifs.
  2. Histoire de la philosophie cartésienne, chap.  III, t.  I, p. 74, 3e édit., 2 vol.  in-12. Delagrave, 1868.