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mené trop grand bruit dans le monde pour que les contradictions de textes, celles plus graves qui se montrent dans l’ordonnance du système, n’aient pas été vivement signalées et niées aussi vivement.

Après avoir exposé les diverses manières de comprendre la pensée de Descartes sur les deux points dont nous venons de parler, nous voudrions rechercher s’il n’est pas possible de concilier les textes les uns avec les autres et avec la méthode cartésienne en général. Si nous réussissons, nous aurons ainsi montré qu’il n’y a, au moins dans ces deux parties du système de Descartes, ni une contradiction essentielle, née du système lui-même, ni une contradiction accidentelle, née des défaillances de la mémoire ou des nécessités de la discussion.

I

On sait l’immense importance du Je pense, donc je suis, dans la philosophie de Descartes. C’est le premier fait qui apporte avec lui la certitude d’âne existence, c’est lui qui doit fournir au philosophe un point d’appui pour s’élever à une vérité plus haute, d’où il pourra déduire ensuite toutes les autres. Si le Je pense, donc je suis, n’est qu’une tautologie où la seconde proposition répète la première en l’affaiblissant, si même il est un enthymème où une majeure sous-entendue est la cause de la liaison des deux membres, la métaphysique de Descartes tombe à plat.

Que veut Descartes en effet ? Sortir de l’ornière scolastique, fonder sa philosophie, non sur une vérité idéale, sur un principe abstrait, « qui par lui-même ne nous fait avoir la connaissance d’aucune chose qui existe, » mais sur un fait expérimental, positif, comme on dirait aujourd’hui, un fait qui lui permette d’atteindre, non plus une existence pensée, mais une existence réelle, ne serait-ce que la sienne propre. Or, si le Cogito, ergo sum, est un enthymème, cet enthymème s’appuie sur un principe abstrait sous-entendu, et c’est ce principe, non le Cogito, qui est le véritable fondement de la philosophie de Descartes. Le philosophe aurait donc manqué son œuvre ; au lieu du réalisme qu’il nous promettait, il ne nous aurait donné qu’un formalisme aussi subtil, plus dangereux et non moins vide que celui qu’il prétendait remplacer.

Si Descartes n’a pas fait un enthymème, il semble tout au moins se répéter. En disant : Je suis, il ne dit pas plus que lorsqu’il disait : Je pense, car dire : Je pense, c’est dire : Je suis pensant. S’il veut dire : Je suis une substance, il fait un paralogisme, il prétend expliquer la