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que l’abeille est aux espèces inférieures du même genre, et qui accomplirait naturellement, organiquement, certaines actions qui nous sont commandées aujourd’hui par les lois civiles et la loi morale. Remarquons en passant que toutes les lois naturelles n’ont pas toujours existé. Puisqu’elles expriment les rapports des faits, elles ne peuvent exister avant que les faits se produisent, et les faits de diverses catégories ne sont pas tous contemporains ; les faits physiques ont précédé les faits biologiques, qui ont précédé les faits zoologiques. Par conséquent, les lois concernant chacun de ces groupes de faits sont antérieures à celles qui concernent les autres.

On voit combien tout ceci se rattache étroitement à la façon que j’ai exposée de concevoir l’obligation et son origine. Faisons une dernière remarque sur ce sentiment ; je crois qu’il faut le distinguer du sentiment de coercivité dont parle M. Spencer et qui, d’après lui, doit disparaître si l’homme s’adapte suffisamment aux conditions sociales. Il est sûr que le sentiment de contrainte doit disparaître ; mais obligation et contrainte ne sont pas une même chose. Je suis obligé de respirer, par exemple ; je ne m’y sens pas contraint. La contrainte implique une résistance. Il n’en est pas de même pour l’obligation. L’obligation peut donc parfaitement subsister en l’absence de la contrainte.

Je résumerai pour terminer mes principales propositions :

1o L’obligation morale, à ses débuts, se confond dans l’esprit de l’homme avec le déterminisme des phénomènes dans une idée encore peu précise de ce qu’un être fera dans certaines circonstances données. L’attente d’un phénomène, déterminée par certaines associations d’idées, est le fondement intellectuel de la croyance à l’obligation morale. Elle s’associe avec l’idée que ce phénomène peut ne pas se produire. La combinaison de ces deux idées forme une sorte d’état inférieur de l’idée du devoir. »

2o Cette obligation a d’abord été imposée par l’homme aux autres êtres ; elle a été appliquée au monde objectif avant de l’être au monde subjectif.

3o Elle s’est appliquée différemment selon l’idée que l’homme s’est faite des hommes ou des autres êtres spirituels, étant toujours déterminée dans sa forme par l’idéal quelconque, grossier ou raffiné, moral et immoral, que le milieu impose à l’homme, et consistant, quant au fond, dans l’influence que la conception de cet idéal exerce sur les actes de l’homme, se ramenant toujours en définitive à l’attente ou à la représentation vive de certains actes.

4o La loi morale tend à devenir une loi naturelle.

Fr. Paulhan.