les exigences de l’intérêt général de la société ; en revanche, son expérience devait être assez étendue pour lui avoir montré plusieurs fois le châtiment à la suite de la faute. Le châtiment, à ses yeux, était obligatoire, et la nature de sa réflexion fait croire que son idée d’obligation était désintéressée et qu’il ne voyait pas dans le devoir de ses parents l’obligation de faire seulement ce qui lui serait agréable. Un : fait que le même auteur rapporte à la suite du précédent peut servir d’ailleurs à faire une contre-épreuve et à montrer que, le châtiment cessant d’arriver à la suite de la faute, il n’y avait plus, d’après l’enfant, obligation de le punir, et qu’il y avait, au contraire, obligation de ne pas le punir : « Quelques mois après, il avait été envoyé chez sa grand’mère, où il faisait le maître et le despote. Un jour qu’il avait commis je ne sais quelle espièglerie jugée grave, sa grand’mère l’enferma dans une chambre noire tout à côté de la cuisine. Cinq minutes ne s’étaient pas écoulées, que, malgré sa dureté d’oreilles, la bonne dame entendit des cris de paon. Elle se hâta d’aller ouvrir la porte de la prison, et l’enfant se précipita au dehors, tout en larmes et la figure contractée par la frayeur et la colère. Comme il ne craignait qu’à demi sa grand’mère, beaucoup trop faible à son égard, il ne lui croyait pas le droit de le punir si sévèrement, et il protestait ainsi contre ce qu’il considérait comme une injustice. »
On voit que ces dernières lignes viennent à l’appui de ce que je disais tout à l’heure sur l’antériorité du devoir attribué aux autres par rapport au devoir que l’on s’impose à soi-même. L’enfant porte plutôt son attention sur les personnes qui l’entourent que sur lui-même. Il en vient à s’imaginer qu’elles doivent (le mot a ici un sens mixte marquant à la fois le futur et l’obligation) agir conformément à ce que leur caractère a montré jusqu’ici de sévérité ou de faiblesse.
Quand il a affaire successivement à des personnes différentes, il ne mesure plus le châtiment convenable à ce qu’il a fait lui-même, à sa propre conduite, mais bien à la conduite antérieure de ces personnes. Ce qui lui semblera juste venant de l’un lui semblera injuste venant d’un autre. Ajoutons qu’en ce cas les hommes sont un peu comme les enfants.
On le voit, ce sont les premières expériences et les premières généralisations de l’enfant qui déterminent la genèse de ces idées de l’obligation. Cette idée a une origine commune avec la science et avec la religion. Son début est aussi scientifique qu’une notion peut l’être chez l’enfant, et, il est bon de le remarquer, parce que cela peut sembler paradoxal, ce début de l’idée du devoir est marqué moins par une idée de liberté que par une idée de déterminisme. Les exemples que nous emprunterons tout à l’heure aux civilisations