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bénard. — la vie esthétique

la vie entière ; notre activité s’y dépense en efforts vains ou stériles. Il n’en est pas de même de la vie esthétique ; tout y a un intérêt véritable pour l’esprit et l’imagination. Une troisième différence consiste dans l’intérêt qui s’attache ici à la forme (Forminteresse). Schiller en avait fait le seul objet ; il a eu tort. Le fond (Inhalt) où le contenu a aussi son intérêt, Gœthe a eu raison de le rétablir ; mais un haut intérêt dans l’art et dans le beau doit s’attacher à la forme.

Citons quelques-unes des paroles de l’auteur, qui résume ainsi sa pensée :

« La vie esthétique est la vie de l’imagination ; elle est l’élévation au-dessus de la vie réelle, de cette vie de non-liberté (Unfreiheit), de dépendance, où l’on rencontre partout des chaînes, des limites, au-dessus de ses agitations, de ses troubles. Tout ce qu’il y a en elle de choquant, de repoussant, de non intéressant y est écarté. Dans le monde de l’imagination, l’âme se meut dans sa pure liberté, elle aspire aux vastes espaces ; elle va d’objet en objet, de formes en formes, saisissant tout ce qui a de l’intérêt pour l’homme, recherchant toute beauté ; c’est l’élévation au-dessus de la réalité actuelle dans la sphère de l’infinité pure du monde des formes. N’ayant affaire qu’à elle-même, l’imagination se développe dans sa parfaite vitalité. C’est le plaisir d’être et de se sentir libre. »

La place de la vie esthétique dans l’ensemble de la vie de l’esprit, à laquelle l’auteur consacre aussi un article particulier, est caractérisée en ces termes :

« L’art n’est-il qu’un luxe de la vie ? Ce jeu de l’imagination est-il un jeu superflu ? Il y a sur ce point, on le sait, deux opinions contraires. Les uns disent que les peuples s’amollissent et s’énervent par l’art. L’art serait, selon eux, une plante parasite, et la vie esthétique des peuples serait une époque de décadence. L’opinion contraire, c’est que la vie esthétique est une époque de délivrance et de liberté, la plus haute fleur de la vie. Le vrai, c’est que la vie esthétique est l’achèvement, la perfection de la vie générale dans l’homme et dans l’humanité. L’homme, dans sa vraie nature, lorsqu’il a satisfait aux exigences de la vie physique et de ses autres facultés, a besoin de sentir ses penchants et ses forces, les modes de son activité dans leur parfaite harmonie. Or, dans la vie réelle, il y a un mélange de liberté et de servitude. Comme il a été dit, l’intelligence, le sentiment, la volonté rencontrent des obstacles, des difficultés. Partout la scission, la tension, l’effort, la faiblesse et la contradiction, la lutte et le combat. Par tous ces côtés, la vie est imparfaite. L’exercice de nos forces est gêné, contrarié, empêché. Là est la