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bénard. — la vie esthétique

plusieurs années, l’Esthétique de M. Karl Köstlin, est conçu d’après cette idée de la vie esthétique. L’auteur en fait la base d’une esthétique nouvelle, qu’il déclare être la seule positive et scientifique.

Nous nous proposons d’examiner ce livre, tout à fait digne d’être connu. C’est une œuvre considérable ; la lecture en est d’un bout à l’autre très instructive et très intéressante. Si l’on peut contester à l’auteur l’originalité et la profondeur philosophiques, il serait injuste de méconnaître son grand talent d’analyse, le mérite de ses descriptions et de ses applications, la plupart très justes et souvent ingénieuses, l’abondance des matériaux qu’il a su réunir et grouper d’une façon peut-être un peu superficielle, mais claire et précise. Son style est facile, clair, riche et abondant, quoique l’exubérance des mots y nuise souvent à la précision. La partie qui concerne le beau dans la nature, où le savant et l’esthéticien doivent constamment se donner la main, est surtout remarquable. Nulle part on ne trouve un ensemble aussi complet et aussi bien ordonné, une pareille description des formes du beau naturel, à tous les degrés, dans les divers règnes, de manière à satisfaire un esprit à la fois scientifique et philosophique. La partie correspondante du grand ouvrage de Fr. Vischer peut seule soutenir le parallèle et sur bien des points lui serait jugée inférieure.

En essayant de donner une idée de ce livre, notre but n’est pas de l’apprécier dans toutes ses parties. Nous devons nous borner à examiner jusqu’à quel point l’auteur a réussi dans son entreprise de fonder la science du beau sur la base de la vie esthétique. Mais auparavant il nous paraît nécessaire de jeter un coup d’œil sur ses antécédents. M. Köstlin lui-même le reconnaît, la voie lui a été ouverte par d’autres esthéticiens. Il cite en particulier (p. 7) Schiller, Schleiermacher et W. de Humboldt. Il aurait pu en ajouter d’autres, car ce côté de la vie esthétique n’est absent d’aucune des doctrines sur le beau et l’art écloses au sein de la philosophie allemande. Sans vouloir les examiner toutes, nous devons indiquer les principales, celles au moins qui sont conçues selon son esprit et se rattachent le plus à sa méthode. En comblant cette lacune et en traçant cet aperçu, nous mettrons le lecteur mieux à même de comprendre et d’apprécier la tentative de l’auteur, qui vient à la suite de ceux qu’il nomme lui-même ses devanciers et dont il continue la tâche en lui donnant plus d’étendue et de portée. Cette méthode génétique, comme l’appellent nos voisins, et chez eux en grande faveur, est très propre en effet à éclairer et faire apprécier ce livre, surtout à marquer sa place dans la série des œuvres de l’esthétique allemande.