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SÉAILLES. — philosophes contemporains

trer dans les choses elles-mêmes ; étrangère à la réalité, elle manquerait elle-même de réalité et ne serait que la forme vide et la possibilité abstraite d’une pensée[1]. » Pour sortir de cet état d’évanouissement et de mort, il faut retrouver les déterminations particulières de l’être, les qualités spécifiques, la réalité, objet de la sensation.

Cette unité, que nous avons eu tant de peine à établir, il faut que nous la brisions et que, sans la perdre, puisqu’elle est nécessaire, nous retrouvions la diversité. Comment résoudre ce problème, qui tenait en échec le génie de Parménide ? « Comment rendre à la fois la pensée réelle et la réalité intelligible. » Sans renoncer à faire du monde un phénomène unique et à expliquer l’unité du sujet pensant par l’unité de l’objet pensé, comment atteindre l’individuel[2] ? Il n’y a qu’une solution possible à ce problème : c’est d’admettre une seconde unité, qui permette à la pensée de saisir par un acte unique le contenu de plusieurs sensations et d’embrasser au moins confusément dans chacune de ses perceptions la réalité tout entière. Il faut qu’une sensation ne nous isole plus de tout ce qui n’est pas elle. Il faut que la diversité des sensations ne nous transporte pas dans des mondes divers et que, passant de l’une à l’autre, nous ne fassions qu’éclairer les différentes parties d’un tableau qui était déjà tout entier présent à la pensée. Il n’est pas une perception, suivant Leibniz, qui n’enveloppe obscurément l’univers : il suffirait de la déployer, de déterminer tous ses rapports, pour y retrouver le monde, son histoire et ses destinées.

« La première unité de la nature était l’unité purement extrinsèque d’une diversité radicale ; la seconde au contraire est l’unité intrinsèque et organique d’une variété dont chaque élément exprime et contient à sa manière tous les autres[3]. » Ce phénomène unique, qui à chaque instant de la durée constitue l’univers, peut se décomposer en une multitude de phénomènes coexistants qui, unis en harmonies partielles, mais concentriques et de plus en plus vastes, se concertent en une harmonie totale. Tout est soumis aux lois de la mécanique, et le monde est constitué par des mouvements ; mais ces mouvements ne sont pour ainsi dire que la matière des choses, et leur direction est telle qu’ils produisent des êtres individuels, éléments à leur tour d’individus plus complexes. L’univers n’est en ce sens qu’un individu, immense organisme, qui concentre la vie de tous les organismes particuliers, qu’il enveloppe. En retrouvant la diversité, qui

  1. Du fondement de l’induction, p. 86.
  2. id., p. 86.
  3. id., p. 86.