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nerveux à qui l’on a jusqu’ici refusé obstinément la sensation de la conscience est mille fois mieux organisé pour sentir que tel animal à qui l’on attribue sans hésiter, à moins d’être un partisan suranné de l’automatisme, non seulement la sensation mais l’instinct. 3o L’impénétrabilité des consciences individuelles n’empêche pas l’action, l’influence quelquefois irrésistible d’un homme sur un autre ou d’un homme sur un animal ; par conséquent, la conscience générale et la conscience élémentaire peuvent demeurer impénétrables et cependant agir et réagir les unes sur les autres. Ce système d’action et de réaction constitue à la fois l’équilibre vital et l’équilibre psychologique 4o Si c’est ressusciter les archées de Van Helmont, il faut en féliciter les archées et Van Helmont lui-même. Les chimistes ont-ils eu quelque scrupule à s’approprier les découvertes des alchimistes ? N’est-il pas légitime de reprendre son bien où on le trouve ? On peut donc en appeler de cette conclusion de M. Bouillier « Le polyzoïsme avec sa multiplicité, avec sa hiérarchie de petites consciences ou d’esprit momentanés, n’est pas moins incompatible avec la seule vraie conscience que les collections ou les paquets de phénomènes de Hume ou de Condillac. » (P. 135.) Il va sans dire que la théorie de M. Espinas qui fait de la conscience individuelle une société de consciences, est condamnée plus sévèrement encore : c’est donner aux monades des fenêtres ouvertes sur le dehors, c’est remplacer la conscience par une métaphore.

L’auteur, qui vient de défendre si énergiquement les droits de la conscience, en étudie ensuite les conditions d’exercice. Il ne croit pas qu’un changement d’état dans le milieu psychologique soit son antécédent indispensable et sa condition nécessaire : le chargement avive l’impression, mais ne la crée pas ; « la différenciation est le procédé suivant lequel la conscience se développe, non son essence même. » (P. 157.) Il ne croit pas d’avantage que la conscience et l’attention soient incapables d’embrasser plusieurs objets à la fois, car cette simultanéité de l’appréhension est la condition sine qua non de la comparaison et du jugement. Ii cherche ensuite la place de la conscience dans une classification des facultés, et, après une revue intéressante et un minutieux examen des différentes opinions des philosophes, il conclut que la conscience n’est pas une faculté spéciale, ni même la forme générale des facultés intellectuelles, mais l’essence même de tout acte interne, du sentir et du vouloir aussi bien que du connaître. Par conséquent, plus d’inconscience proprement dite ; le rôle des petites perceptions est très important dans la vie de l’esprit, mais l’inconscient n’est que le conscient, moins l’attention, moins le degré d’énergie ou de distinction nécessaire à l’exercice de la réflexion. Derrière le monde des phénomènes, par delà les perceptions sourdes ou distinctes, la conscience pénètre jusqu’à leur cause profonde ; elle ne se joue pas à la surface de l’âme, comme le soutenaient à tort les Écossais, mais elle connaît dans l’effet la cause, dans le psychologique, le métaphysique. C’est l’opinion de M. Ravaisson, et c’est aussi celle de M. Bouillier. Ainsi s’opère le passage