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BINET. — le raisonnement dans les perceptions

riences[1]. » Voilà le fait constaté. Comment M. Spencer l’expliquera-t-il ? « L’acte de pensée par lequel la présentation de l’objet suggère à l’esprit que cet objet possède quelque attribut invisible… est spontané et simple, car il ne résulte pas d’un souvenir des rapports semblables précédemment connus, mais simplement de l’influence qu’à titre d’expériences passées ils exercent sur l’association des idées. En général, la conclusion ainsi terminée nous suffit et nous passons à quelque autre pensée. » Que faut-il entendre par cette « influence que des expériences passées » exercent sur une pensée actuelle ? Peut-être l’auteur at-il songé vaguement à ce fait bien connu qu’un mouvement compliqué, après plusieurs répétitions, s’accomplit avec beaucoup moins d’efforts qu’au début ; de sorte qu’on peut dire que les mouvements antérieurs ont exercé une influence sur le mouvement actuel, par suite de la modification imprimée à l’organisme. Mais ce n’est là qu’une comparaison éloignée et qui ne peut satisfaire personne.

Il me parait impossible de résoudre le problème dont les termes viennent d’être posés, si l’on ne donne pas un sens plus large et plus profond à la loi d’association que les psychologues appellent aujourd’hui la loi de similarité, c’est à cette condition seulement qu’on peut arriver à montrer que l’inférence de la perception s’explique par les lois de l’association. Nous sommes obligés de commencer ici une digression, mais nous la ferons aussi courte que possible.

La loi de la similarité est énoncée ainsi par M. Bain : « Les actions, les sensations, pensées ou émotions tendent à raviver celles qui leur ressemblent parmi les impressions ou états antérieurs. » Cette formule a été généralement acceptée comme exacte ; je crois cependant qu’elle est incomplète sur un point des plus importants. Elle n’exprime que l’action reproductrice de la ressemblance, vérité banale qui nous est connue depuis Aristote, tandis qu’elle ne tient aucun compte de la propriété caractéristique qui fait jouer à la ressemblance un rôle fondamental dans les raisonnements et dans tous les procédés de recherche scientifique. Cette propriété, c’est la fusion. Lorsque deux ou plusieurs états de conscience semblables se présentent simultanément ou successivement dans notre esprit, ils se fondent ensemble et ne forment qu’un seul état. Si les deux états de conscience sont exactement semblables, la fusion est totale ; par exemple, quand plusieurs sons identiques nous affectent simultanément, nous ne percevons qu’une seule sensation ; chaque son se fusionne avec ses semblables, en perdant son individualité. Si les

  1. Principes de psychologie, t.  II, p. 98.