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BINET. — le raisonnement dans les perceptions

il faut noter le rétrécissement de l’ouverture de la pupille, la convergence des deux axes oculaires, la contraction du muscle de l’adaptation focale, les mouvements des yeux dans l’orbite, et quelques autres phénomènes secondaires. Il y a aussi les mouvements de la tête, du cou et du tronc qu’on exécute inconsciemment pour permettre aux rayons lumineux d’atteindre la surface de la rétine, et la partie de la surface qui est le point d’élection des sensations visuelles, c’est-à-dire la tache jaune. Voilà, à peu près, toutes les sensations réelles que nous recevons de l’objet ou à propos de l’objet, et par conséquent à peu près toutes les propriétés de l’objet qui nous sont connues directement : le reste est inféré. Si l’on recherche à quelle connaissance peuvent nous amener ces impressions, on voit que d’une part l’organe de la vue proprement dit, la rétine, nous donne connaissance de plusieurs taches de couleur jaune, avec leurs variétés de nuances et d’intensités, et que les muscles de l’appareil de la vision nous donnent par leurs contractions des sensations qui n’ont par elles-mêmes aucune signification, mais qui nous servent de signes. La vision ayant lieu au moyen des deux yeux, il y a quelques différences entre l’image rétinienne de l’œil droit et celle de l’œil gauche ; mais ces différences, elles aussi, sont insignifiantes en elles-mêmes et n’ont de valeur que comme signes. La connaissance directe de l’objet est, on le voit, bien peu de chose comparée à la connaissance indirecte qui nous est donnée par un faisceau d’inférences. La notion d’un corps extérieur à notre esprit, c’est-à-dire la condition même de toute perception, ne nous est pas fournie par la vue ; ni la sensibilité propre de la rétine, ni les divers mouvements et ajustements de l’œil ne nous font dépasser un état de conscience purement subjectif et interne. L’idée d’extériorité a pour origine une dépense de force musculaire. La distance et la grandeur de l’objet reconnaissent la même source. Comme ces trois qualités primaires des choses se retrouvent constamment dans nos perceptions et sont révélées à l’esprit par la seule apparence visible des objets, elles forment la partie fondamentale et pour ainsi le noyau de notre connaissance indirecte. À ces propriétés générales viennent s’ajouter des attributs spéciaux à l’objet que nous percevons et qui le caractérisent d’abord comme un fruit, ensuite comme une orange ; tous ces attributs sont fournis par l’esprit ; c’est la forme sphérique de l’orange, sa surface rugueuse et pointillée, son poids, sa résistance, son odeur, son goût, le suc qu’elle renferme, des caractères visuels relatifs à la disposition des parties internes et à la présence des graines, et un grand nombre d’autres propriétés, parmi lesquelles il ne faut pas oublier le nom de l’objet, qui, en un certain sens, est