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BINET. — le raisonnement dans les perceptions

semblables ; par un procédé que nous verrons plus tard à l’œuvre, la sensation nouvelle restaure les sensations anciennes. De là un état de conscience très complexe dans lequel des sensations actuelles s’organisent avec des idées naissantes d’autres sensations provenant du même objet ou d’objets analogues. C’est cet état de conscience qu’on appelle une perception[1].

Un point est à noter au sujet des représentations mentales que la perception met en jeu. En général, les représentations de l’imagination et de la mémoire ont pour caractère de ne pas être modifiées par les mouvements du corps ; l’image d’un ami absent qui s’offre à notre pensée ne varie pas avec nos mouvements et nos changements de position comme le ferait l’image réelle de cet ami, si sa personne était devant nous. Ce caractère distingue nettement l’idéal et le réel. Qu’observe-t-on au sujet des représentations mentales que la perception coordonne avec des sensations ? on observe qu’elles dépendent étroitement de ces sensations, qu’elles subissent les mêmes modifications, et qu’elles se trouvent, par voie indirecte, sous la dépendance de nos mouvements.

En premier lieu, les idées attachées à une sensation actuelle restent présentes à l’esprit tant que l’objet reste présent à nos sens ; elles ne varient ni en degré ni en nature, quand le corps est immobile. Nous pouvons citer comme exemple l’idée de la grandeur ou de la forme d’un objet placé à quinze pas : contraste frappant avec les idées du souvenir et de l’imagination, qui sont toujours mobiles, toujours vacillantes, toujours disposées à sortir du champ de la conscience, si on ne les retient pas par un énergique effort de volonté. En second lieu, remarquons que, lorsque nous nous rapprochons d’un objet éloigné, l’idée de sa distance éprouve des changements corrélatifs à ceux de l’impression visuelle ; en outre, le même mouvement de tête, le même abaissement des paupières qui suppriment la sensation visuelle suppriment du même coup le cortège d’idées fixées à cette sensation. Voici un fait plus curieux encore. Si l’on presse latéralement le globe oculaire de façon à le faire dévier de la position qu’il prend automatiquement pour s’adapter à une distance déterminée, on sait que le résultat de cette manœuvre c’est que l’objet est vu double. Les deux images rétiniennes qui à l’état normal se fusionnent, restent distinctes. Mais il se passe en même temps un second phénomène. Chacun des objets dédoublés est perçu avec sa distance, sa forme, sa direction et toutes ses propriétés physiques, exactement comme l’objet qui était primitivement vu simple par les

  1. Conf. Bain, Emotions and Will, p. 559.