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La critique dont nous venons d’essayer une traduction abrégée semble tout à fait péremptoire. M. de Hartmann a fait abstraction de la sagesse inconsciente dont il a fait un attribut éternel, lorsque, suivant les vestiges de Hegel, de Schelling et de Bœhme, il a entrepris de décrire l’évolution par laquelle le principe universel arrive à la conscience de lui-même dans la création. On comprend l’illusion qui le porte à chercher dans cette crise un moyen d’expliquer le mystère du monde. Bœhme et Schelling, justement préoccupés de concilier le dualisme des apparences avec l’unité dont la pensée a besoin, ont aussi compris le premier moment de l’acte créateur comme le déploiement d’une force aveugle et violente. La représentation pessimiste du monde ne leur est pas étrangère ; mais ils n’érigent pas le pessimisme en métaphysique, ils conçoivent peut-être, ou tout au moins ils réclament une autre rédemption que l’anéantissement.

En essayant d’appliquer à l’absolu l’idée, à notre sens parfaitement juste, que le savoir implique l’expérience et suppose avant lui l’action, M. de Hartmann est conduit, comme sans douter, à commencer par le néant, car le principe qui aspire à l’existence n’existe pas. Celui qui a fait toutes choses n’existait pas lorsqu’il les a faites. Une contradiction pareille atteindrait peut-être Hegel, si l’on pouvait voir dans l’Idée de Hegel autre chose qu’une loi, dans le sens des positivistes. Mais Bœhme et Schelling s’élèvent, d’intention du moins, au-dessus du panthéisme ; la puissance divine qui passe à l’acte dans la création n’est pas, suivant eux, tout l’être divin. Ils ont compris ce que M. de Hartmann aurait dû comprendre : c’est qu’on ne saurait trouver le commencement des choses dans la puissance nue, et que, si le non-être était vraiment l’éternel, l’apparence de l’être serait impossible. Inversement, pourrait-on dire avec non moins de raison, le vouloir de Bœhme et de Schelling est contenu par une autre faculté jusqu’à ce que celle-ci lui permette de se déployer. C’est ainsi qu’il peut rester dans la puissance ; mais le vouloir de M. de Hartmann, qui aspire à se précipiter dans l’existence, existe déjà, puisqu’il veut, et, comme rien ne le gêne, on ne saurait comprendre pourquoi ce qu’il veut n’a, pas toujours été. En un mot, antérieurement à la création, sa volonté aveugle ne saurait être comprise ni comme être ni comme non-être. Il décrit une évolution dont les conditions manquent.

Au surplus, j’en reviens toujours à ma critique fondamentale, proposée à l’apparition du système et reproduite ici récemment : comme conception de l’absolu, le pessimisme est en soi la négation de la raison même. Nous ne serions pas plus choqué, c’est-à-dire