formules que nous pourrions essayer ; le bonheur seul est un bien certain, indiscutable ; la thèse est tautologique, puisque le bonheur n’est autre chose que la satisfaction de la volonté. Nous pouvons partir de ce point pour atteindre une idée qui paraîtra plus pure aux dégoûtés, et qui nous rapproche du bien moral, que nous connaissons. Si l’être est volonté, si le bonheur est la satisfaction de la volonté, celle-ci devient son objet à elle-même. La pensée de la pensée est la pensée, dit Aristote, marquant ainsi le prix supérieur de la conscience. Nous dirons de même : la volonté de la volonté, telle est la volonté véritable. Vouloir vouloir ce qu’il faut et y parvenir, c’est là le bien ; la volonté parfaite, tel est le principe, le but. Mais quel est le caractère de la volonté parfaite, et comment le déterminer, encore une fois, sans assigner un objet à la volonté ? — Il n’y a d’autre bien véritable que la la volonté droite. Qu’est-ce que la volonté droite ? — S’il en fallait croire Emmanuel Kant, ce serait la volonté conséquente, la volonté logique, rationnelle, c’est-à-dire empreinte d’un caractère d’universalité. C’est terriblement formel ; et si l’on insiste pour savoir quelles démarches suggère cette volonté de sa nature universelle, on voit qu’elle tend au bonheur d’autrui. D’autres disciples du devoir diront qu’elle ordonne de travailler à l’avancement moral d’autrui, au salut d’autrui. Vouloir le bonheur de tous, vouloir que tous veuillent le bonheur de tous : Il n’y a de choix qu’entré ces deux énoncés du devoir. Les moralistes austères ont beau se battre les flancs, le bonheur reste toujours la pierre d’angle sur laquelle s’élève l’édifice de la vertu. Il n’y a qu’un moyen d’y échapper : c’est de ne définir point, de se payer sciemment de mots, et de continuer à tourner la cage de l’écureuil.
Le bonheur restant donc le seul but intelligible de l’existence, on définira le principe de l’être comme volonté du bonheur, ou, pour répondre à toute objection : volonté d’être, volonté d’une façon d’être parfaite, et dont la perfection s’atteste par le bonheur. Si l’on ne craint pas d’amoindrir Dieu en lui attribuant une affection, qui suppose une limite, on dira que Dieu est heureux, parfaitement heureux, et qu’il veut son propre bonheur, dans lequel sera toujours compris, de manière ou d’autre, le bonheur des êtres finis. Dieu veut notre bonheur, Dieu nous intéresse comme auteur de notre bonheur. En d’autres termes, pour éviter une personnification du sujet qui n’est peut-être pas suffisamment justifiée et qui pourrait finir par gêner, le monde est une fabrique de bonheur, il est organisé pour le bonheur des êtres sensibles. Telle est la première conclusion, le premier système auquel on arrive a prior, c’est-à-dire en supposant l’ordre du monde conforme à ce qu’il nous semblerait devoir être.