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nous en servir pour arriver au bien absolu. Une étude précédente[1] nous a donné ce résultat : que le bien moral consiste à nous vouloir tels que nous sommes, comme éléments solidaires d’un tout formé de volontés morales, l’humanité ; qu’il consiste donc à vouloir la complète réalisation de l’humanité, à nous consacrer à l’humanité. Sachant que l’être est volonté, sachant qu’en tant qu’individu, en tant qu’espèce, nous ne nous sommes pas produits nous-mêmes, ayant constaté le caractère absolu pour nous du devoir formel, dont le contenu restait à chercher, nous en avons conclu légitimement que la conduite conforme au devoir est voulue de nous par la volonté suprême. Ce rapport du bien moral, du bien pour nous au bien en soi, nous pouvons l’établir avec certitude ; mais la nature du bien en soi n’en ressort pas directement, et je ne sais trop comment l’en tirer. Faisons donc momentanément abstraction des résultats obtenus dans cette recherche morale.

Le premier objet de notre volonté, c’est la satisfaction de nos besoins. Cette satisfaction nous fait éprouver une jouissance, qui devient ensuite l’objet du désir et du vouloir. Ce fait général a fourni la base d’un système où la morale est considérée comme une exposition des moyens d’atteindre la jouissance et de la fixer. Si le bien se confond avec la jouissance, avec le bonheur, vouloir le bien sera vouloir le bonheur, notre bonheur personnel ou le bonheur d’autrui, peu importe. Et comment définir le bien autrement, à moins de tourner dans un cercle ? Répéterons-nous que le bien c’est : l’être lui-même ? Etre ne paraît-il pas tantôt un bien, tantôt un mal, suivant les circonstances ? Et qui distinguera ces cas, si le sentiment n’en est pas le juge ? Que dirons-nous donc ? le bien ne consisterait-il point dans l’accroissement, dans le libre déploiement, dans la perfection de l’être ? — Sans doute, à supposer que l’être en lui-même est un bien. Évidemment nous marquons le pas sans avancer. Si le bien est l’être, le mal est le non-être, comme on l’a répété si souvent depuis si longtemps ; d’où résulterait qu’il n’y a point de mal. Nous n’arriverons pas à l’ordre moral en suivant cette route. Le mal n’est pas un pur non-être, et toute limitation de l’être n’est pas un mal. Il faut sortir du vide, abandonner l’universel, pour descendre à des notions plus déterminées. Mais comment ? Chercherons-nous peut-être le bien dans la connaissance, dans le perfectionnement de l’intelligence ? Ce sentiment est arbitraire. Pourquoi la connaissance serait-elle un bien en elle-même, si l’objet n’en est pas un bien ? Des questions pareilles se poseraient vis-à-vis de toutes les

  1. Revue philosophique, tome VII, pp. 25, 281, 377.