petit fiat motus est aussi incompréhensible que la création du monde entier ; donnez-moi ce pouvoir dans des limites aussi étroites que vous voudrez, et je referai le monde mieux qu’Archimède avec son point d’appui. De plus, nous demanderons de nouveau comment il peut y avoir des limites à un commencement absolu, une relation limitant l’absolu ?
Le criticisme phénoméniste croit avoir supprimé le « noumène » en le plongeant dans le « phénomène » ; il n’a fait que le mêler à son contraire ; au lieu d’un seul noumène au-dessus du monde, on a une multitude de petits noumènes dans le monde, autant que d’actes libres et de commencements premiers : c’est une poussière de noumènes au lieu d’un lingot. Le criticisme phénoméniste rejette la chose en soi, mais il admet ce qui est beaucoup plus étrange : des phénomènes en soi et par soi. Il veut revenir à Hume en gardant Kant ; et alors, au lieu de placer dans l’édifice le phénomène au rez-de-chaussée et le noumène à l’étage supérieur, il loge les deux contradictoires, aux prises l’un avec l’autre, sur le même plan : il fait commencer absolument des relations, il fait jaillir des phénomènes par soi, et il croit diminuer la difficulté (pour ne pas dire la contradiction) en ajoutant ; — Cela ne se passe que sur un tout petit point, dans d’étroites limites : c’est un petit commencement premier ; son exiguïté le rend plus portatif que l’absolu absolument absolu du noumène. Pour nous, nous aimons mieux ce dernier ; entre le phénoménisme exclusif de Hume et le phénoménisme surmonté du noumène de Kant, il n’y a pas de milieu. Eparpiller la difficulté, ce n’est pas la résoudre : c’est simplement la multiplier.
VI. L’action extérieure du libre arbitre et l’harmonie universelle. — De la solidarité intérieure passons à ce qu’on pourrait appeler la solidarité extérieure : je veux dire l’action réciproque des phénomènes les uns sur les autres, en particulier des phénomènes de volonté libre sur les mouvements du corps. Nous ne reviendrons pas sur les considérations mathématiques récemment proposées à ce sujet : on y confond une force infiniment petite (comme une boule de neige aussi petite qu’on veut) avec une force nulle (avec une boule de neige nulle), pour expliquer comment une cause telle que la volonté peut produire un effet (par exemple une sorte d’avalanche nerveuse) au moyen d’une force mécanique nulle. Mieux vaut embrasser le problème dans sa généralité philosophique. Il s’agira alors de savoir si des faits commençant absolument, comme doivent être les faits du libre arbitre, pourront se trouver en correspondance, en harmonie avec des phénomènes extérieurs, et cela sans que cette harmonie ait été préétablie ou soit, d’une manière quelconque, prédéterminée.