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se prêtent à tout, supposons par exemple que nous sommes dans le désert : Vous croyez voir une oasis ; moi, placé à une certaine distance de vous, je ne la vois pas. En fait, il y a ou il n’y a pas une oasis réelle ; les partisans du libre arbitre et ceux du déterminisme l’admettent également ; mais la question est de savoir comment, dans chacune des deux hypothèses, on pourra établir une distinction de valeur entre les opinions. Selon le déterminisme, moi qui ne vois pas l’oasis et vous qui la voyez, nous sommes actuellement nécessités toux deux, moi à ne pas voir, vous à voir. Faut-il en conclure que nous n’ayons aucun moyen de discerner le vrai du faux ? — Tant que nous en demeurerons là et que nous nous croiserons les bras, la distinction sera sans doute impossible ; mais, dans l’hypothèse du libre arbitre, elle sera tout aussi impossible. Il ne suffira pas que je disiez : — J’affirme librement l’oasis, il me plaît qu’elle soit —, pour que la distinction du vrai et du faux devienne possible ; on distinguera simplement par là ce qui me plaît et ce qui ne me plaît pas : Jusqu’ici, nous sommes donc au même point. Maintenant, de deux choses l’une : ou la chose en litige est vérifiable, ou elle ne l’est pas. Si elle est vérifiable, nous marcherons tous les deux vers l’oasis que vous croyez voir ; le déterministe n’est pas plus paralysé que le partisan du libre arbitre. En arrivant devant une oasis réelle, la même nécessité qui nous empêchait tout à l’heure de la voir nous déterminera maintenant à la voir ; nous aurons donc corrigé une nécessité par une autre ; si voir ou ne pas voir dépendait de notre libre arbitre, c’est alors que nous serions impuissants à distinguer le réel de l’imaginaire. Supposons maintenant que toute vérification soit impossible ; ici encore, l’hypothèse se subdivise. Ou bien, en l’absence de vérification sensible, il y a des raisons soit logiques, soit scientifiques, soit métaphysiques, soit morales et sociales, pour établir des degrés de probabilité ; ou bien il n’y en pas. Dans le premier cas, vous pouvez, par exemple, me faire observer que vous n’êtes pas au même point que moi, que mes yeux sont moins bons, qu’il y a une vapeur entre moi et l’oasis, que j’ai un intérêt à prendre un autre chemin, tandis que vous êtes parfaitement désintéressé, etc. Vous pouvez ainsi arriver à me convaincre que les probabilités sont pour le chemin que vous voulez prendre. Ces probabilités me détermineront à prendre ce chemin, à moins que mon désir ou mon intérêt ne l’emportent sur mon intelligence. N’y a-t-il, au contraire, aucun moyen d’établir des probabilités, ni intellectuelles ni d’aucune sorte ? En ce cas, toutes raisons ayant disparu, nous serons réduits à une sorte de pari, à un jeu de hasard. Mais qui empêche un déterministe de jouer et de parier tout comme un autre ? Si nous sommes