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SÉAILLES. — philosophes contemporains

I

La méthode dialectique et progressive s’avance par les théories possibles qui expriment une vue de la pensée jusqu’à la vérité qui doit exprimer la pensée même. L’esprit cherche d’abord dans les phénomènes la raison de ses lois. La philosophie de l’expérience semble le point de départ naturel de la réflexion, sa première démarche. Parti de France, le positivisme revenait d’Angleterre enrichi, transformé par le puissant et subtil esprit de Stuart Mill. Il avait trouvé dans la patrie de Locke ce qui lui manquait, une psychologie, une critique de l’esprit qui justifiât ses théories négatives.

Que fait l’empirisme de la science, par suite de l’esprit et du monde ? L’origine empirique des notions mathématiques rend toute démonstration impossible et enlève aux vérités fondées sur ces notions leur caractère d’universalité. Voici un triangle : je mesure avec des précautions de chimiste les trois angles ; je trouve qu’ils sont égaux à deux droits ; comment démontrer que ce qui est vrai de ce triangle est vrai de tous les triangles ? C’est un fait, ce n’est pas une vérité éternelle, nécessaire.

L’empirisme ne peut manquer du moins d’asseoir sur une base solide les sciences positives. N’est-il pas ces sciences mêmes arrivant à la souveraineté ? Le problème est de faire sortir de l’expérience les principes mêmes de l’expérience. Stuart Mill a tenté de le résoudre. L’homme induit spontanément. Cette induction spontanée n’est pas un jugement porté sur la liaison objective des phénomènes, c’est seulement une disposition subjective de notre imagination à les reproduire dans l’ordre où ils ont frappé nos sens. C’est l’impossibilité de résister à une habitude sans cesse fortifiée, qui fait la certitude-du principe de l’induction. Essayez de douter de la loi de causalité (succession constante), vous n’y réussirez pas ; pourquoi ? Parce que de tous vos souvenirs il n’en est pas un qui ne se confonde dans l’immense clameur de toutes vos expériences passées. Les sensations se succèdent dans un ordre invariable, le même antécédent amène toujours à sa suite le même conséquent, c’est un fait ; les sensations associées tendent à s’éveiller l’une l’autre, c’est un fait ; l’habitude peut fortifier indéfiniment ces associations, c’est un fait.

Mais que devient la science ? L’habitude peut se perdre comme elle a été acquise. La répétition des actes la crée ; que ces actes cessent de se produire, peu à peu elle disparaîtra. La science n’est qu’un fait. « De ce que nous avons pris l’habitude d’associer dans un