Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/311

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
301
SÉAILLES. — philosophes contemporains

Toutes les preuves de l’existence de Dieu se ramènent à des sophismes quand on prétend établir par elles l’existence d’un Dieu personnel distinct du monde et de l’homme ; toutes reprennent un sens quand au lieu de raisonner on réfléchit, quand au lieu de chercher dans le monde un Dieu distinct du monde, dans l’homme un Dieu distinct de l’homme, on rattache tout ce qui est au fond substantiel des choses, le monde et l’homme à la pensée. « La seule théodicée possible est une théodicée subjective. » On ne passe pas, quoi qu’en disent saint Anselme et Descartes, de l’idée de l’infini à l’existence de l’infini. Mais la pensée donne l’être à tout ce qui est, en ramenant la diversité sensible à l’unité intelligible ; « des sensations débandées sont des rêves, des sensations qui marchent en rang serré sont des réalités[1]. » Exister, c’est être pensé ; faisons tomber tout le matériel, toutes les sensations ; il reste l’être, qui ne se distingue pas de la pensée. L’argument ontologique vaut si l’être et la pensée se confondent. Il ne faut pas dire : Moi individu, j’ai l’idée de l’infini, donc l’infini existe hors de moi ; il faut dire : L’absolu prend conscience de lui-même en moi ; l’idée de l’infini est impersonnelle, elle est l’infini lui-même.

De même, les arguments cosmologiques n’ont aucune valeur, si l’on prétend passer en vertu du principe de causalité du monde à Dieu. Tant qu’on reste dans l’espace et dans le temps, on va de phénomènes en phénomènes, sans atteindre jamais la cause première. Mais la dialectique, en nous ramenant de l’objet au sujet, du phénomène à l’être, du relatif à l’absolu, nous fait saisir le monde en rapport avec Dieu. Le monde n’existe que parce qu’il est intelligible, que parce qu’il dérive de la pensée, que parce qu’il est la pensée même se saisissant sous les formes de l’espace et du temps. Si l’être nécessaire est la pensée, tout s’explique. Dieu est un comme la vérité ; il est infini, éternel, parce que la pensée hors de l’espace et du temps est sans figure, sans limitation. La création, absurde dans l’hypothèse d’un Dieu objectif, en dehors duquel rien ne peut exister, n’est plus une contradiction. Rien ne s’oppose à ce que les choses pensées et la pensée coexistent : la vérité et les choses vraies sont distinctes et ne font qu’un ; voilà le rapport du fini à l’infini. On dira : L’objet sensible limite la pensée ; mais l’objet sensible n’est qu’une apparence. Le fini, c’est un point de vue sur l’infini, il en dépend et il s’en distingue, il n’existe que par lui et il n’est pas lui, il ne le limite qu’en ce sens qu’il ne l’exprime pas tout entier. Aller du monde à Dieu, du phénomène à l’être, c’est donc rattacher tout à l’unité substantielle de la pensée, qui s’aperçoit par

  1. Théodicée, leç. II.