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de faire le plus de bien aux autres, l’idéal étant un état où chacun n’aurait en vue que le bien d’autrui[1]. » Effacer la distinction des personnes, imiter l’unité des âmes en Dieu, s’élever ainsi à l’éternel par l’impersonnel, voilà l’acte vraiment moral, le seul bien, la seule beauté, qui puisse égaler l’amour que toutes nos harmonies partielles ne satisfont qu’un instant. Le dernier précepte de la morale, celui qui comprend et résume tous les devoirs, c’est la charité universelle : il faut renoncer à soi-même, aimer intellectuellement et pratiquement son prochain, mourir à soi pour vivre en autrui, il faut, en supprimant tout centre personnel, faire du monde des âmes ici-bas l’image de l’infini, un cercle dont le centre soit partout, la circonférence nulle part. Si tout ce qu’il y a de réel en l’homme c’est Dieu, l’homme se réalise d’autant plus lui-même qu’il se rapproche davantage de Dieu.

III

Le principe de la science et des choses, notre nature et notre destinée, tout nous ramène à la pensée, à l’absolu, à la liberté, qui ne dépend de rien, dont tout dépend. Tout rattacher à la pensée, c’est tout rattacher à Dieu : nous n’avons pas à sortir de nous pour aller à lui. S’il était une personne distincte de nous, comment pourrions-nous le connaître ? Connaître, c’est toujours avoir conscience ; comment aurions-nous conscience de ce qui est hors de nous ? De plus, si l’infini était substantiellement distinct de moi, comment pourrait-il coexister avec ce moi ? surtout en être l’auteur ? Faire l’être hors de soi, cela n’a pas de sens et ne peut être qu’une répétition stérile. Rejeter le déisme, n’est-ce pas accepter le panthéisme, dire que la pensée n’est rien en dehors de ses déterminations, que Dieu n’est qu’un idée dont le monde est la réalité, un idéal qui se forme par abstraction dans l’esprit humain ? Alors « nous aimons Dieu dans la science, dans l’art, dans le pain et dans la viande, puisque toutes ces choses sont Dieu lui-même, que sans elles il ne serait rien : sanctification de la jouissance et toutes conséquences monstrueuses[2], » voilà le panthéisme. Comment sortir de cette contradiction ? Puisque les deux thèses dans leur opposition se détruisent, il reste de trouver une solution qui les comprenne et les concilie, de chercher Dieu à la fois en nous e au-dessus de nous.

  1. Psychologie, XXVIe leç.
  2. Psychologie, XXIe lec.