moment où, se dégageant de toutes les illusions sensibles, il se saisit dans sa réalité spirituelle. La loi morale s’impose et ne peut être imposée ; « puisqu’on ne peut s’obliger soi-même ni être obligé par autrui, il reste que soi-même considéré à un point de vue on oblige soi-même considéré à un autre point de vue, que l’homme de l’éternité oblige l’homme du temps[1]. » Le devoir résulte de la valeur infinie que l’être sensible doit à l’existence intelligible à laquelle il est appelé et dont il porte en lui le germe. La réflexion nous a montré tout au fond de nous-mêmes la liberté, la pensée se prenant pour fin : ce acte par lequel on sort de l’espace et du temps pour entrer dans l’éternité, c’est l’acte moral. Il n’y a aucun intérêt, puisque tout attrait sensible est sacrifié ; il y a un intérêt infini, puisque nous nous dépouillons d’une existence superficielle, apparente, pour entrer dans l’existence véritable. « Le mérite, c’est d’ajourner le bonheur[2] », « si le bonheur est hors de cette vie, la vertu peut très bien être le sacrifice du bonheur actuel, en même temps que la science du bonheur. » En nous révélant ce que nous sommes, la réflexion nous apprend ce que nous devons être : rien n’est que la pensée ; prendre la pensée pour fin, c’est s’attacher au seul bien véritable. Mourir, c’est vraiment vivre ; la mort à la vie sensible, c’est la résurrection dans la vie éternelle, voilà le principe qui lève toutes les contradictions. L’intérêt véritable, c’est le sacrifice. Notre devoir est bien d’accomplir notre destinée ; mais accomplir notre destinée, c’est faire évanouir toutes les illusions sensibles, c’est nous éveiller du rêve suivi dont les fantômes bien liés nous abusent, c’est anéantir le fini devant l’infini, nous souvenir qu’il n’y a que Dieu de réel et d’immortel dans le monde et dans l’homme.
Si notre destinée n’est pas de ce monde, le devoir, c’est d’en sortir par le suicide ou par l’extase. La conséquence ruine le principe. — Oui, si l’on considère l’homme que nous sommes et l’homme que nous serons un jour comme deux êtres extérieurs l’un à l’autre et sans rapport ; non, si c’est le même être qui se continue, « qui se saisit ici-bas dans un état et peut espérer de se saisir un jour dans un état différent[3]. » La vie présente est sacrée, « précisément parce qu’elle est fondée sur une existence absolue avec laquelle elle fait corps. » — Mais rien de ce qui est fini ne peut avoir une valeur absolue, comment donc réaliser ici-bas sa destinée ? — « Certains actes peuvent prendre une valeur absolue en tant qu’ils représentent