Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
291
SÉAILLES. — philosophes contemporains

c’est la région de l’espace et du temps, de la conscience et de la personnalité ; dans la vie divine, la pensée est seule, il n’y a plus d’objet, de matière, d’élément empirique ; la pensée tire tout de soi, elle est le sujet et l’objet, la lumière se voit elle-même. Comme il n’y a plus de point de vue particulier sur les choses, il n’y a plus de conscience individuelle ; comme tout ce qui passe, tout ce qui change a disparu, on est hors de l’espace et du temps dans l’éternel. Pure intelligence de la vérité, production et contemplation de la beauté, conception et pratique de la justice et du devoir, telles sont les formes que prennent les trois facultés de l’âme dans cette vie supérieure et divine[1].

La science pure existe-t-elle ? Nous en avons un exemple dans les mathématiques, où nous produisons les objets en les définissant et où la définition devient le principe d’une déduction nécessaire. Le monde peut-il devenir l’objet d’une telle science ? Pourrons-nous jamais le créer ainsi à priori, de toute pièce, par des définitions qui l’engendrent ? Le monde est un mécanisme, tout s’y ramène à un mouvement uniforme et continu qui se poursuit avec la même vitesse dans la même direction. Tout se passe donc hors de nous, dans la nature, comme en notre esprit dans les mathématiques. Connaissant les mouvements primitifs et leur direction, on pourrait construire d’éléments simples, intelligibles, les corps les plus complexes, en donner des définitions, adéquates, principes de déductions nécessaires. « Toutes choses sont des pensées, et la pensée, en les pensant ne sort pas d’elle-même. Nous pouvons rêver une réduction des sciences physiques aux sciences mathématiques ; une science de la nature à priori, supérieure à la personnalité, indépendante de l’espace et du temps ; une science divine, qui soit la présence réelle de l’esprit à toutes choses à la fois[2]. »

Comme l’intelligence par la science pure devient divine, ainsi la sensibilité par l’art se transforme, s’élève et se purifie. La nature nous apparaît d’abord comme une vaste machine qui fait aveuglement des astres, des plantes, des animaux et des hommes. Mais le mouvement implique la direction ; la nature est toute pénétrée de finalité ; elle n’est pas seulement un mouvement monotone, se poursuivant selon des lois inflexibles, elle est un système de pensées détachées de la pensée universelle. L’utile ne satisfait pas encore la nature, elle s’élève au-dessus de la finalité. Après avoir achevé l’être, disposé ses organes et ses fonctions, elle dépasse le degré de perfection nécessaire à la vie, elle ajoute à son œuvre un éclat divin, un rayon d’en haut qui la transfigure et qui la glorifie. Ce je ne sais

  1. Psychologie, leç. XXIII.
  2. Psych., leç. XXIV.