On saisit vaguement par la conscience le résultat des modifications que subit l’organisme, sans arriver à une connaissance objective et précise de ces modifications elles-mêmes. « Si l’on parvenait à saisir les mouvements de toutes les fibres nerveuses dans le corps d’un homme, rien n’empêcherait de prédire avec certitude la succession de ses états de conscience. Cabanis a dit : Le moral est le physique retourné ; cela est vrai, pourvu qu’on ne prétende pas retrouver dans le physique ce qui ne fait partie que du point de vue interne[1]. » Ce n’est donc pas à tort que les psychologues s’efforcent aujourd’hui de ramener la psychologie à la physiologie. Quels qu’aient été jusqu’ici les résultats de leurs efforts, ils comprennent du moins que les faits internes, considérés dans leur succession, ne pourraient devenir l’objet d’une science véritable qu’en étant ramenés aux faits externes, qu’ils expriment obscurément.
La psychologie, comme étude des faits internes, qui se succèdent en nous, n’est pas une science indépendante, elle n’est qu’une physiologie imparfaite, un moyen de suppléer aux lacunes des sciences naturelles. N’y a-t-il pas un problème vraiment psychologique, une science de l’esprit qui soit autre chose que la connaissance confuse des phénomènes organiques ? Après s’être étudié comme objet, dans sa dépendance du monde, il faut s’étudier comme sujet, dans sa réalité spirituelle. Il ne s’agit plus d’observer un enchainement de phénomènes qui a sa raison dans un mécanisme corporel extérieur au moi ; il s’agit de dégager des actes particuliers ce qui exprime la nature même de l’esprit. C’est un problème nouveau, qui exige une méthode nouvelle. Vainement on multiplierait les observations et les expériences, on resterait dans le monde, on étudierait toujours ce qui est connu, non ce qui connaît, il n’y a qu’une méthode subjective qui permette d’atteindre le sujet. Cette méthode subjective, c’est la réflexion ; « il faut s’opposer soi sujet pensant et voulant à tout ce qui passe, soi être à tout ce qui paraît ; il faut se détacher en un mat de tout ce qui est particulier, successif, comme étant la part du monde externe[2]. » La dialectique étudie la pensée dans ses rapports avec son objet. En nous ramenant des lois du monde à l’unité de la pensée, dont elles sont l’expression, elle nous conduit au principe des choses par une voie indirecte, elle nous le montre dans ses effets, hors de lui-même, se resaisissant dans la diversité des phénomènes. La psychologie continue, achève la dialectique : elle ne va plus par un double mouvement du sujet à l’objet, de l’objet au sujet ; par la réflexion, elle atteint directement la cause ; elle est la cause se saisissant elle-même,