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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

son commentaire eût été trop peu clair. Il le devient beaucoup musicalement, bien entendu, grâce à cet examen du développement rythmique. Mais disons sans tarder qu’une augmentation importante de clarté provient ici d’une autre source ; c’est que tout le long du passage Berlioz parle de ce rythme comme étant celui d’une voix. Ce rythme est un dactyle suivi d’un spondée ; il est plein de mélancolie ; c’est une phrase, c’est enfin une mélodieuse plainte. Ces explications ne veulent pas dire que nous ayons dans ce morceau l’équivalent de la détermination précise des mots et des paroles ; mais nous ne sommes plus dans la généralité abstraite et vague, nous tenons une partie de la signification psychologique que comporte la voix sans paroles. Et cette signification se dégage encore un peu plus, par la simple ligne, que voici : « Les violoncelles chantent une sorte de lamentation, dans le mode mineur. » Or quelle voix que celle des violoncelles, surtout dans ce mode !

Ainsi, il est possible de serrer d’assez près la signification de la mélodie instrumentale. On y parvient en regardant non seulement le mouvement et le rythme, mais encore les changements que présentent, les variétés que produisent la tonalité et la modalité, les contrastes que font éclater les chocs entre les modes, entre les accords. L’étude de ces effets, dont l’impression sur l’âme est parfois si particulière, n’a pas encore été poussée assez loin. Quant aux modes, nous n’en avons que deux, le majeur et le mineur. C’est une pauvreté incontestable. Ceux qui savent combien en offrait la musique grecque, s’étonnent moins du grand nombre de sentiments qu’elle semble avoir exprimés. Mais, même avec nos deux seuls modes, les maîtres obtiennent des transitions, des oppositions que les critiques habiles savent saisir et montrer. La tonalité, la modulation, l’usage de certains accords caractérisent la phrase, lui donnent plus de précision. Berlioz parle clairement, il appuie son commentaire sur des raisons solides dans ce passage sur la terminaison de l’andante de la symphonie en la : « Cette exclamation plaintive, par laquelle l’andante commence et finit, est produite par un accord (celui de sixte et quarte) qui tend toujours à se résoudre sur un autre, et dont le sens harmonique incomplet est le seul qui pût permettre de finir, en laissant l’auditeur dans le vague et en augmentant l’impression de tristesse rêveuse où tout ce qui précède a dû nécessairement le plonger[1]. »

Il serait indispensable, au point où l’art musical est parvenu, d’approfondir psychologiquement la force expressive distincte de chaque ton, de chaque mode. Les compositions seraient mieux raisonnées et plus

  1. À travers chants, p. 47, édit. citée.