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la prison même s’est adoucie[1] ; on y laissa davantage pénétrer l’air et la lumière : les barreaux de fer qui retiennent le coupable sans trop écarter les rayons du soleil figurent, symboliquement l’idéal de la justice pénale, qu’on peut exprimer par cette formule scientifique : le maximum de défense sociale avec le minimum de souffrance individuelle.

Ainsi, plus nous allons, plus la vérité théorique s’impose même aux masses et modifie le besoin populaire de châtiment. Lorsque aujourd’hui la société châtie, ce n’est jamais pour l’acte qui a été commis dans le passé, c’est pour ceux que le coupable ou d’autres à son exemple pourraient commettre dans l’avenir. La sanction ne vaut que comme promesse ou menacé précédant l’acte et tendant mécaniquement à le produire ; celui-ci accompli, elle perd toute sa valeur : elle est un simple bouclier ou un simple ressort déterministe, et rien de plus. C’est bien pour cela qu’on ne punit plus les fous par exemple : on y a renoncé, après avoir reconnu que la crainte du châtiment n’avait pas d’action efficace sur eux. Il y a un siècle à peine, avant Pinel, l’instinct populaire voulait qu’on les punit comme tous les autres coupables, ce qui prouve combien les idées de responsabilité ou d’irresponsabilité sont vagues dans le concept vulgaire et utilitaire de la sanction sociale. Le peuple ne parlait pas au nom de ces idées, mais bien plutôt au nom de l’intérêt social, lorsqu’il réclamait autrefois des châtiments cruels, en harmonie avec ses mœurs ; les légistes ne doivent pas davantage les mettre en avant aujourd’hui, lorsqu’ils travaillent à réduire la peine au strict nécessaire. Le libre arbitre et la responsabilité absolue, à eux seuls, ne légitiment pas plus un châtiment social que l’irresponsabilité métaphysique et le déterminisme métaphysique ; ce qui seul justifie la peine, c’est son efficacité au point de vue de la défense sociale[2].

  1. Pour tous les délits qui ne peuvent entraîner la déportation. M. Le Bon proposait avec raison, ici même, l’amende, ou un travail obligatoire (industriel ou agricole), ou enfin un service militaire forcé sous une discipline sévère (Revue philos., mai 1881). On le sait, nos prisons sont des lieux de perversion plutôt que de conversion. Ce sont des endroits de réunion et d’association pour les malfaiteurs, des « clubs anti-sociaux ». ! Chaque année, écrivait un président de la cour de cassation, M. Béranger, cent mille individus « vont s’y plonger plus avant dans le crime », soit un million en dix ans. De là l’augmentation considérable des récidives (cette augmentation est en moyenne de plus de deux mille par an).
  2. Il faut donc approuver la nouvelle école de juristes, particulièrement nombreuse et brillante en Italie, qui s’efforce de placer le droit pénal en dehors de toute considération morale et métaphysique. Remarquons cependant que cette école a tort lorsque, après avoir mis à part toute idée de responsabilité métaphysique, elle pense être forcée par ses propres principes de mettre également à part « l’élément intentionnel et volontaire ». Suivant MM. Lombroso, E, Ferri, Garofalo, le jugement légal ne doit porter que sur