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GUYAU. — critique de l’idée de sanction

II. — Sanction morale et justice distributive.

Déjà Benthar, Mill, MM. Maudsley, Fouillée, Lombroso se sont attaqués à l’idée de châtiment moral ; ils ont voulu enlever à la peine tout caractère expiatoire et en ont fait un simple moyen social de répression et de réparation ; mais, pour en venir là, ils se sont généralement appuyés sur les doctrines déterministes, encore discutées aujourd’hui ; aussi M. Janet, au nom du spiritualisme classique, a-t-il cru devoir maintenir malgré tout, dans son dernier ouvrage, le principe de l’expiation réparatrice des crimes librement commis. « Le châtiment, dit-il, ne doit pas être seulement une menace qui assure l’exécution de la loi, mais une réparation ou une expiation qui en corrige la violation. L’ordre troublé par une volonté rebelle est rétabli par la souffrance qui est la conséquence de la faute commise[1]. » — « C’est surtout à la loi morale, dit à son tour M. Marion[2], qu’une sanction est nécessaire… Elle n’est une loi sévère et sainte qu’à la condition que le châtiment soit attaché à sa violation et le bonheur au soin qu’on prend de l’observer. » Nous croyons que cette doctrine de la rémunération sensible, surtout de l’expiation, est insoutenable à quelque point de vue qu’on se place, et même en supposant que la loi morale s’adresse impérativement à des êtres doués de liberté. Elle est une doctrine matérialiste mal à propos opposée au prétendu matérialisme de ses adversaires.

Cherchons, en dehors de tout préjugé, de toute idée préconçue,

    produiraient facilement des monstruosités physiques. On voit sur quelle frêle base s’appuie M. Renouvier lorsqu’il tâche d’induire la sanction morale et religieuse de la sanction naturelle. « Il est permis de voir dans la rémunération future un prolongement naturel de la série des phénomènes qui, dès à présent, mettent les conditions fondamentales et même les conditions physiques du bonheur dans la dépendance de la moralité. » (Science de la morale, p. 290.)

  1. M. Janet, Traité de philos., p. 701. « La première loi de l’ordre, avait dit V. Cousin, est d’être fidèle à la vertu ; si l’on y manque, la seconde loi de l’ordre est d’expier sa faute par la punition… Dans l’intelligence, à l’idée d’injustice correspond celle de peine. » Deux des philosophes qui ont le plus protesté en France contre la doctrine selon laquelle les lois sociales seraient expiatrices et non simplement défensives, MM. Franck et Renouvier, semblent cependant admettre comme évident le principe d’une rémunération attachée à la loi moral. « Il ne s’agit pas de savoir, dit M. Franck, si le mal mérite d’être puni, car cette proposition est évidente par elle-même. » (Philos. du droit pénal, p. 79.) « Ce serait aller contre la nature des choses, dit aussi M. Renouvier, que d’exiger de la vertu de n’attendre point de rémunération. » (Science de la morale, p. 286.) M. Caro va plus loin, et dans deux chapitres des Problèmes de morale sociale il s’efforce, en s’appuyant sur M. de Broglie, de maintenir à la fois le droit moral et le droit social de punir les coupables.
  2. Leçons de morale, p. 157.