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RICHET. — la personnalité dans le somnambulisme

en effet elle appela Carle mon ami le Dr G…, qu’elle connaissait assez peu.

Une autre fois, je dis à B…, endormie : « Quand vous serez réveillée, vous mettrez beaucoup de sucre dans votre thé. » Je la réveille, on sert le thé et elle bourre de sucre sa tasse. « Que faites vous donc ? lui dit-on. » — « Je mets du sucre. » — « Mais vous en mettez trop. » — « Ma foi ! tant pis ! » et elle continue le même manège. Puis, trouvant sa boisson détestable : « Que voulez-vous, c’est une bêtise ! Est-ce que vous n’avez jamais fait de bêtise ? »

Une autre fois, je lui dis, pendant son sommeil : « Vous prendrez le mouchoir de M. O…, et vous le jetterez dans le feu. » Réveillée, elle demande un mouchoir et ne veut prendre que celui de O… « Est-ce qu’il brûle, votre mouchoir ? lui dit-elle. — Certes. — Ne me défiez pas, car je pourrais, si je voulais, le jeter dans le feu. — Je ne vous défie pas, mais rendez-moi mon mouchoir. — Eh bien, puisque vous me défiez, tenez. » Et voilà le mouchoir dans le feu. « Eh bien, oui, dit-elle, c’est une sottise ; mais pourquoi m’avez-vous défiée ? Vous savez bien qu’on ne défie jamais un fou. »

Une autre fois, je lui dis : « Quand vous serez éveillée, vous témoignerez de la sympathie à M. F. et de l’antipathie à M. D. » Réveillée, elle a oublié cet ordre, et cependant elle se place à côté de F., évitant avec soin D. Quand F. parle, sa figure exprime une sorte de satisfaction ; tandis que si D. lui parle, elle le regarde froidement, ayant peine à cacher qu’elle le trouve désagréable. Pendant une demi-heure ce double sentiment a été en s’exagérant, sans qu’elle puisse elle même s’en rendre bien compte ; car elle se donnait toutes sortes de raisons pour expliquer comment elle devait être bienveillante pour F., et déplaisante pour D.

Mais, de toutes les expériences, la plus caractéristique est la suivante. Je l’ai répétée sur À. et sur B… avec un égal succès.

A.. (ou B…) étant endormie, je lui dis : « Vous reviendrez tel jour, à telle heure[1]. » Réveillée, elle a oublié cela, et me dit : « Quand voulez-vous que je revienne ? » — « Quand vous pourrez, un jour quelconque de la semaine prochaine. » — « À quelle heure ? » — « Quand vous voudrez. » Et régulièrement, avec une ponctualité surprenante, elle arrive, au jour et à l’heure qui ont été indiqués.

J’ai fait cette expérience trois fois sur A… et quatre fois sur B…, et pas une seule fois elle n’a échoué.

Cela a conduit même à des conséquences assez bizarres. Un jour A… arrive (à l’heure qui avait été convenue pendant son sommeil) et sa

  1. J’avais soin de changer chaque fois l’heure et le jour.