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S’il fallait donner un nom à cet état psychologique particulier, je proposerais de l’appeler objectivation des types par amnésie de la personnalité. Mais le nom importe assez peu.

III

Je serai plus bref pour l’autre phénomène que je voudrais décrire ici. Je n’oserais dire qu’il n’a pas encore été observé ; je crois au contraire qu’on en a déjà parlé, mais dans des termes très vagues, de sorte que sa réalité n’est pas encore définitivement admise,

Il s’agit d’un phénomène de mémoire qu’on pourrait appeler la mémoire inconsciente.

Voici en quoi il consiste. A… est endormie. Je lui dis : « Quand vous serez réveillée, vous prendrez ce livre qui est sur la table, vous lirez le titre, et vous le remettrez dans ma bibliothèque. » Je la réveille. Elle se frotte les yeux, regarde autour d’elle d’un air étonné ; met son chapeau pour sortir ; puis, avant de sortir, jette un coup d’œil sur la table : elle voit le livre en question, le prend, lit le titre. « Tiens, me dit-elle, vous lisez Montaigne. Je vais le remettre à sa place. » Et elle le range dans la bibliothèque.

Je lui demande alors pourquoi elle a fait cela. Elle ne se souvient aucunement de l’ordre que je lui ai donné ; aussi ma question paraît l’étonner beaucoup. « Est-ce que je ne pouvais pas regarder ce livre ? » me dit-elle.

Ainsi voilà un acte qui a été exécuté sans que le motif en soit connu. Le motif en a été inconscient. Un souvenir inconscient a décidé la personne à agir. Alors que cet acte paraissait spontané, il était déterminé par une cause dont la personne agissante ne se rendait pas compte.

Comme l’intérêt est bien plus dans le récit des faits que dans les déductions qu’on peut en tirer, je donne encore quelques exemples du même phénomène.

B… étant endormie, je lui dis : « Quand vous serez réveillée, vous enlèverez l’abat-jour de la lampe. » Je la réveille, puis après quelques minutes de conversation : « On ne voit pas clair ici, » dit-elle, et elle enlève l’abat-jour.

Un de mes amis, nommé Carle G…, assistait à ces expériences ; je dis à B…, endormie : « Quand vous serez réveillée, durant tout le reste de la soirée vous appellerez M. G… du nom de Carle. » Et

    goûts. C’est une preuve de l’influence prépondérante de l’association des idées sur les sentiments et la volonté.