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téristique des espèces, soit au point de vue de la géologie, échappe à notre compétence. La première, consacrée à une appréciation générale de l’œuvre de Darwin, présente une haute signification philosophique ; nous voudrions pouvoir la transcrire ici tout entière.

« Jusque dans ces vingt dernières années, dit l’auteur, les êtres vivante étaient presque toujours étudiés indépendamment du milieu dans lequel ils vivent, indépendamment des rapports réciproques qu’ils contractent entre eux. Chacun d’eux paraissait être une entité distincte, ne devant rien qu’à elle-même, capable de se soustraire à toute action modificatrice de la part des agents extérieurs, créée une fois pour toutes en vue de certaines conditions d’existence, merveilleusement adaptée à ces conditions, mais ne pouvant s’y soustraire qu’à la condition de périr, en équilibre parfait avec ce milieu supposé immuable, mais destinée à disparaître dès que cet équilibre était rompu. Cette fausse conception de l’être vivant a causé l’échec de tous les essais de philosophie des sciences naturelles qui ont été tentés jusqu’à présent. »

Et il montre avec un petit nombre d’exemples choisis que chaque être, sous la pression de circonstances variables, s’est, en dehors de tout plan préconçu, adapté à son milieu, même lorsqu’il ne semblait pas primitivement destiné à y vivre : certains poissons à la vie aérienne, certains mammifères et certains oiseaux à la vie aquatique. Il remarque que les êtres vivants environnants sont la partie prépondérante de ce milieu pour chaque espèce. Des adaptations non moins étroites que celles qui unissent les organismes au milieu physique mettent les organismes dans la dépendance les uns les autres et suscitent des variations morphologiques qui changent entièrement l’aspect de chacun d’eux. « La trompe des abeilles, celle des papillons leur seraient inutiles s’il n’existait pas de fleurs. » Les dents des mammifères racontent leur régime. Toute leur structure en dérive également et par contre-coup. « La langue du fourmilier, les énormes glandes salivaires de cet animal ne peuvent évidemment servir qu’à prendre des fourmis, des termites et autres insectes vivant en société. Il est des insectes, certains staphylins, des psélaphes, des clavigères qui ne sortent jamais des fourmilières ; plusieurs sont aveugles, d’autres ne peuvent manger que la nourriture dont les gorgent les fourmis. » D’innombrables parasites ont été modifiés dans le même sens par le milieu animal accidentellement élu par eux ; et tous, partis de points très différents, ont revêtu sous l’empire de conditions d’existence analogues, des caractères similaires. La gloire de Darwin est d’avoir établi que, le milieu physique et organique changeant sans cesse et produisant sans fin les conditions les plus variées et les plus inattendues, il n’en est pas auxquelles les organisme n’aient pu se plier avec une flexibilité presque sans bornes.

Ces rapports de l’être avec son milieu fournissaient « les plus puissants arguments à la doctrine des causes finales. À cette doctrine se substitue désormais une philosophie plus haute, plus large, une conception du monde vivant qui n’étonne plus que par sa majestueuse