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JOLY. — les origines du droit

principe d’une certaine façon aux nègres travaillant sous le fouet et qu’il le leur fait connaître en les traitant selon que son œil de maître les a notés. De même, dans les temps féodaux, le serf qui trouvait le courage d’être laborieux, se faisait évidemment une moins mauvaise situation que celui que le servage avait entièrement hébété. Croit-on donc qu’il n’y ait rien de plus à extraire du droit compris dans la plénitude de sa portée ? Ce qu’il convient de savoir au préalable, disons-le bien haut, c’est quels hommes on est, lorsque le temps est venu de se mettre au travail, et de payer à la société ce tribut dont nul, sous aucun prétexte, ne saurait s’exempter. C’est à ce prix seulement, de l’égale dignité des personnes attestée par la loi, en même temps que rendue réelle par l’éducation, que le droit prend la consistance et la valeur d’un fait.

La liberté, dira-t-on, saura mettre chacun à sa place sans rien violenter ; au lieu d’intervenir intempestivement, laissons la faire son œuvre, car c’est une œuvre de justice. Le mot liberté est vibrant sans doute ; cependant regardons de près aux choses qu’on lui fait dire. L’industrie demande des bras, mais les offres surabondent et la marchandise-travail se livre de toutes parts au rabais. Parmi ceux qui ne possèdent que leur force musculaire, les uns n’obtiennent pas de travail, les autres ont la bonne fortune de se voir ouvrir les portes d’un atelier. Or, nous le demandons, que fait la liberté à l’homme de l’une et de l’autre catégorie à celui qui, pour subsister, doit aviser à des moyens qu’il n’ose plus avouer, ou à celui qui est obligé de se soumettre aux conditions léonines que lui impose un patron soigneux de réduire à leurs dernières limites ses frais généraux ? Il est un despotisme qui a beau jeu de cette triste et honteuse liberté : c’est la nécessité de se repaître pour vivre. Nous ne pouvons nous ranger à l’avis de ceux qui pensent que le progrès tend à égaliser les conditions. Entassez les siècles sur les siècles et confiez à la liberté le soin de régler nos affaires, quels que soient les progrès industriels accomplis, elle ne modifiera en rien les relations des personnes ; elle n’empêchera pas que, dans une société où capitaux et machines se coalisent spontanément, les lois inexorables de l’économie politique ne suivent leur cours ; elle acceptera fort bien que la loi des salaires, ahenea lex, rémunère le travail dans la mesure strictement nécessaire pour que l’anémie ne détruise pas le muscle utile, et n’aperçoive pas l’homme dans le travailleur. — Et puis on se fait une trop pauvre idée de cette liberté dont on célèbre les vertus. N’est-elle, comme on paraît le croire, que le droit d’aller et de venir, que la fallacieuse latitude de choisir ses occupations ? Pour nous, la liberté est l’affranchissement des servitudes naturelles et des abus séculaires