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terme de l’évolution est le premier de la dissolution. Nous n’avons étudié jusqu’ici, il est vrai, qu’une désorganisation de mouvement ; mais ceux qui traitent la psychologie en science naturelle n’y trouveront rien à redire. Comme la volition n’est pas pour nous une entité impérative, régnant dans un monde à part et distincte de ses actes, mais bien l’expression dernière d’une coordination hiérarchique ; et, comme chaque mouvement ou groupe de mouvements est représenté dans les centres nerveux, il est clair que, avec chaque groupe paralysé, un élément de la coordination disparaît. Si la dissolution est progressive, la coordination sans cesse appauvrie de quelque élément ira toujours en se resserrant ; et, comme l’expérience montre que la disparition des mouvements est en raison inverse de leur complexité et de leur délicatesse, notre thèse est vérifiée.

Nous pouvons d’ailleurs poursuivre cette vérification de notre loi, en rappelant ce qui se passe dans les maladies du langage, et ici nous pénétrons dans le mécanisme intime de l’esprit. Je ne reviendrai pas sur un sujet que j’ai longuement traité[1]. J’ai essayé de montrer que beaucoup de cas d’aphasie résultent d’une amnésie motrice, c’est-à-dire d’un oubli des éléments moteurs, de ces mouvements qui constituent le langage articulé. Je rappellerai que Trousseau avait déjà remarqué que « l’aphasie est toujours réductible à une perte de la mémoire soit des signes vocaux, soit des moyens par lesquels les mots sont articulés : que W. Ogle distingue aussi deux mémoires verbales : une première, reconnue de tout le monde, grâce à laquelle nous avons conscience du mot, et en outre une seconde, grâce à laquelle nous l’exprimons. » Cet oubli des mouvements, bien qu’il soit avant tout une maladie de la mémoire, nous révèle aussi un affaiblissement du pouvoir moteur, un désordre de la coordination volontaire. Le malade veut s’exprimer ; sa volition n’aboutit pas ou se traduit incomplètement, c’est-à-dire que la somme des tendances coordonnées qui, au moment actuel, constituent l’individu en tant qu’il veut s’exprimer, est partiellement entravée dans son passage à l’acte ; et l’expérience nous apprend que cette impuissance d’expression atteint d’abord les mots, c’est-à-dire le langage rationnel ; ensuite les phrases exclamatives, les interjections, ce que Max Müller désigne sous le nom de langage émotionnel ; enfin, dans des cas très rares, les gestes. La dissolution va donc encore ici du plus complexe au moins complexe et au simple, du volontaire au demi-volontaire et à l’automatique, qui est presque toujours respecté.

Il est permis d’entrer encore plus avant dans la vie purement psychi-

  1. Voir Revue philosophique, novembre 1880, pp. 493-505.