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RIBOT. — l’anéantissement de la volonté

chis, ces affolements de désespoir, ces explosions de gaieté folle, ces grands élans d’affection, ces attendrissements rapides, ou ces brusques emportements pendant lesquels, agissant comme des enfants gâtés, elles trépignent du pied, brisent les meubles, éprouvent un besoin irrésistible de frapper…

« Les hystériques s’agitent, et les passions les mènent. Toutes les diverses modalités de leur caractère, de leur état mental, peuvent presque se résumer dans ces mots : elles ne savent pas, elles ne peuvent pas, elles ne veulent pas vouloir. C’est bien, en effet, parce que leur volonté est toujours chancelante ou défaillante, c’est parce qu’elle est sans cesse dans un état d’équilibre instable, c’est parce qu’elle tourne au moindre vent comme la girouette sur nos toits, c’est pour toutes ces raisons que les hystériques ont cette mobilité, cette inconstance et cette mutabilité dans leurs désirs, dans leurs idées et leurs affections[1] ».

Ce portrait si complet nous permet d’abréger les commentaires. Il a mis sous les yeux du lecteur cet état d’incoordination, de rupture d’équilibre, d’anarchie, d’ « ataxie morale » ; mais il nous reste à justifier notre assertion du début : qu’il y a ici une impuissance constitutionnelle de la volonté ; qu’elle ne peut naître parce que ses conditions d’existence manquent. Pour des raisons de clarté, J’anticiperai sur ce qui sera établi avec plus de détails et de preuves dans les conclusions de cet article.

Si nous prenons une personne adulte, douée d’une volonté moyenne, nous remarquerons que son activité (c’est-à-dire son pouvoir de produire des actes) forme en gros trois étages : au plus bas, les actes automatiques, réflexes simples ou composés, habitudes ; au-dessus, les actes produits par les sentiments, les émotions et les passions ; plus haut, les actes raisonnables. Ce dernier étage suppose les deux autres, repose sur eux et par conséquent en dépend, quoiqu’il leur donne la coordination et l’unité. Les caractères capricieux dont l’hystérique est le type n’ont que les deux formes inférieures ; la troisième est comme atrophiée. Par nature, sauf de rares exceptions, l’activité raisonnable est toujours la moins forte. Elle ne l’emporte qu’à condition que les idées éveillent certains sentiments qui sont, bien plus que les idées, aptes à se traduire en actes. Nous avons vu que plus les idées sont abstraites, plus leurs tendances motrices sont faibles. Chez les hystériques, les idées régulatrices ne naissent pas ou restent à l’état sec. C’est parce que certaines notions d’ordre rationnel (utilité, convenance, devoir, etc.) restent à l’état de

  1. Axenfeld et Huchard, Traité des névroses, 2e édition, 1883, p. 938-971.