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saint Jérôme en fait d’austérité morale. Toutefois, dans l’’emportement de cette polémique, il nous semble être allé trop loin, lorsqu’il soutient que tout rêve est indifférent d’une manière absolue. Il a tort de confondre ensemble deux sortes de rêves, ceux qui au point de vue moral sont insignifiants, et ceux où la moralité est plus ou moins directement engagée. Que je me rêve changé en oiseau ou bien étendu dans un tombeau, ce sont là des fantaisies et des chimères où la conscience morale n’a rien à voir ni en bien ni en mal. Mais il n’en est pas de même du rêve de la palme du martyre ou de l’adultère. Cette palme, souvent rêvée sans doute par les chrétiens les plus fervents au temps des persécutions, peut bien n’être pas la preuve certaine d’un courage qui ne faiblirait devant aucun tourment ; mais elle est au moins le témoignage, l’indice d’une foi ardente disposée au sacrifice et enflammée par les glorieux exemples des martyrs. Quant à l’adultère, celui qui le rêve pour s’être complu dans cette pensée pendant la veille n’en sera-t-il donc, comme le dit saint Jérôme, comptable en rien, si la faute, d’après la distinction de saint Thomas, n’est pas dans le rêve lui-même, dans la cause du rêve ?

M. Maury, qui a touché à cette question, semble admettre aussi l’irresponsabilité du rêve, quel qu’il soit. L’homme, dit-il, qui en songe vole, tue, viole, sait bien tout en rêvant qu’il est coupable ; mais cette notion n’influe en rien sur son acte, parce qu’il l’accomplit spontanément, sans participation de sa volonté, sans conscience nette de ce qu’il fait ; « il a, en un mot, perception et non conception de l’action perverse dont il se figure être l’auteur[1]. » La meilleure preuve, dit-il encore, que l’automatisme dans le rêve est complet et que tout n’y est qu’un effet de l’habitude, c’est que nous commettons des actes répréhensibles, des crimes dont nous ne nous rendrions jamais coupables dans la veille. D’un autre côté, il avoue cependant que la conscience, l’honneur peuvent se faire encore sentir pendant le sommeil, mais ce ne sont là, ajoute-t-il, que des sentiments passés à l’état d’instinct, qu’un résultat de l’habitude, un pur automatisme[2].

Quand même l’automatisme serait en effet complet, comme le prétend M. Maury, quand même rien, à aucun degré, ne subsisterait plus de cet empire sur soi qui caractérise la veille, nous persisterions à ne pas absoudre complètement tous les mauvais rêves, comme aussi à garder pour les bons une présomption favorable d’un bon état de l’âme pendant la veille. Les uns et les autres, dit M. Maury, sont de simples effets de l’habitude passés à l’état d’instincts. Ce

  1. Le sommeil et les rêves, appendice, p. 323.
  2. Ibid., chap.  V, p. 87.