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analyses. — h. marion. De la solidarité morale.

tenue ou comprimée, mais toujours réelle et aussi certaine que la ressemblance des hommes entre eux. Comment le déterminisme explique-t-il l’apparition, l’explosion, au sein de toutes les influences si bien décrites par M. Marion, qui ne demandent qu’à tout fixer, tout immobiliser, tout stériliser, de cet élément irréductible et indomptable qui naît à point quelquefois pour troubler leur œuvre, qui déjoue tous les calculs, déconcerte toutes les prévisions, qui empêche le monde de s’endormir et s’appelle, dans l’homme la liberté, dans l’humanité le progrès ?

On peut encore considérer la solidarité dans des groupes plus restreints que la société en général : la famille, l’État, l’Église. M. Marion cite à ce propos les admirables pages où Stuart Mill, après avoir distingué parmi les caractères deux sortes de types, « le type actif et le type passif, celui qui lutte contre les maux et celui qui les supporte, celui qui se plie aux circonstances et celui qui entreprend de les faire plier, » établit d’une manière si éloquente et si nette la supériorité du gouvernement populaire sur le gouvernement d’un seul.

La solidarité internationale et la solidarité historique sont les formes les plus générales de la grande loi que M. Marion a voulu étudier. De la première, on ne peut malheureusement pas encore dire grand’chose ; cependant les conventions destinées à atténuer les horreurs de la guerre, les traités d’extradition, les congrès d’ordre économique ou scientifique, les conventions de toute nature, nous donnent déjà une idée des liens étroits qui un jour sans doute uniront les nations entre elles.

Voici une formule qui résume tout le travail que nous examinons : « Si nous valons quelque chose, nous n’en avons pas tout le mérite ; si nous valons trop peu, la faute n’en est pas à nous seuls. » M. Marion ne craint pas que quelques-uns ne trouvent là une excuse du mal qu’ils font : ce sophisme ne tromperait personne, encore moins celui qui le ferait. Il en conclut plutôt que nous devrions avoir toujours cette loi présente à l’esprit, et songer que la destinée de ceux qui viendront après nous, en une certaine mesure, dépend de nous. « Ce serait faire beaucoup pour l’amélioration de l’espèce humaine que de travailler à élucider, puis à répandre cette vérité que nos fautes et nos vices compromettent nos enfants, et sont pour eux semences de hontes et de maux, tandis qu’ils profiteront de nos mérites et vaudront mieux que nous avec moins de peine, si nous prenons la peine de valoir un peu. »

Une autre conséquence, non moins importante, est relative à la loi du progrès. Le progrès, quoi qu’en disent quelques esprits naïfs ou superficiels, ne se fait pas fatalement et sans nous : il est réel, mais contingent ; il est ce que le fait la solidarité. Il faut se défendre également d’un pessimisme désolant et d’un optimisme illusoire. « Notre espèce n’est vouée ni au bien ni au mal nécessairement : elle est ce qu’elle se fait ; elle aura le sort qu’elle méritera. »