Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/91

Cette page n’a pas encore été corrigée
81
analyses. — h. marion. De la solidarité morale.

contentent-ils pour l’ordinaire de dire en gros que le tempérament, l’éducation, les habitudes ont une influence sur les actions humaines, mais sans détruire la liberté. Savoir quelles sont ces influences, les étudier de près, c’est un travail qu’ils laissent à d’autres.

Sur ce territoire où personne ne va, peut-être parce qu’il n’y a point là de coups brillants à donner ou à recevoir, M. Marion, qui est d’humeur pacifique, s’est tranquillement avancé. Il commence par déposer la liberté en lieu sûr dans l’introduction de son livre ; puis il part en reconnaissance dans le pays ennemi. Ennemi est trop dire : M. Marion n’a pas de haine. C’est un esprit curieux, non point indifférent, mais avant tout sincère et avide de vérité. La conscience rassurée par son introduction, il est fort à l’aise pour énumérer avec sang-froid, analyser avec complaisance toutes les forces qui restreignent la liberté. Ce partisan du libre arbitre est le géographe, le statisticien du déterminisme. Ce n’est pas que M. Marion n’ait d’abord embrassé le parti de la liberté que pour avoir le droit dans la suite de la traiter plus durement et de lui retirer en détail ce qu’il lui a auparavant accordé. Il reste fidèle à ses engagements, et ne manque pas une occasion de rappeler ce qu’il a dit et ce qu’il croit. La liberté est à la place d’honneur dans l’introduction : elle n’y est point délaissée. Elle règne dans l’introduction et gouverne dans le livre. Mais, d’un autre côté, l’auteur, et c’est là l’originalité de sa tâche, est amené à faire très large la part du déterminisme. Les déterministes auraient de quoi être satisfaits, et on pourrait espérer de la tentative de M. Marion une réconciliation souhaitable, si l’on ne connaissait de reste leur humeur exclusive et intransigeante, ou, si l’on préfère, l’âpre logique qui ne leur permet pas de s’arrêter tant qu’il reste quelque chose hors de leurs prises, et les oblige à croire qu’ils n’ont rien, s’ils n’ont tout. Quant aux esprits modérés qui ne sont pas engagés à fond dans un système, il s’en trouvera peut-être quelques-uns pour admettre que la liberté, qu’il est, après tout, bien difficile de nier, et dont le fantôme, si c’en est un, est bien gênant, n’est plus un si grand obstacle quand on l’envisage de ce biais ; ils penseront que la thèse de M. Marion a au moins le mérite de ne laisser de côté aucun des faits qu’il s’agit d’expliquer, et qu’elle a des chances d’être la plus vraie, étant la plus compréhensive.

Il est aisé de comprendre à présent le titre, un peu étrange au premier abord, que l’auteur a donné à son livre. La solidarité, c’est le déterminisme : on peut dire des actions humaines qu’elles sont solidaires, c’est-à-dire qu’elles dépendent les unes des autres et forment un tout bien lié, solidum quid, comme on dit que les membres d’une société sont solidaires quand chacun répond pour les autres d’une dette commune, comme on dit que les organes d’un corps vivant sont physiologiquement solidaires, ou les habitants d’une ville économiquement solidaires les uns des autres. À ceux qui persisteraient à trouver le mot bizarre ou trop éloigné du sens usuel, on pourrait demander de chercher et d’indiquer un terme plus convenable qui dise aussi briève-