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e. lavisse. — déterminisme historique et géographique.

sophes d’étudier en eux-mêmes les faits qui sont la matière de l’histoire et de la philosophie. En bien des points, l’accord entre le philosophe et l’historien est tel que les deux personnes se confondent. Supposez un philosophe qui étudie l’âme humaine dans le développement chronologique : il fait œuvre de psychologue et d’historien. Pourquoi de pareilles études ne sont pas tentées, je ne saurais le dire : quelle lumière en sortirait !

Une plume plus compétente discutera la valeur philosophique du livre de M. Marion. Mais je donnerais une bien fausse opinion de mon jugement, si je m’en tenais à ces critiques. La lecture de ce livre m’a charmé. Comprendre tout un livre de philosophie, c’est un grand charme dont les philosophes semblent vouloir déshabituer les profanes. Pourtant, lorsque nous ne comprenons pas un philosophe, nous ne nous résignons pas à croire que ce soit notre faute à nous seuls. C’est un grand charme encore de profiter, sans effort, d’une érudition vaste, fruit d’une lecture immense ; de repasser des choses que l’on sait et d’y trouver du nouveau, tant elles sont présentées avec art ; de se laisser guider par un esprit élevé, sincère et libre ; car M. Marion pense librement, dans l’acception vraie du mot, qui n’est pas l’acception habituelle. Ce que le vulgaire entend par un libre penseur, c’est un homme qui pense, si je puis dire, contre toute autorité qui lui déplaît. Pas de pires esclaves ni de pires tyrans que ces libres penseurs. Ils ne comprennent rien aux forces historiques : ils les nient, et, pour cela, se font souvent écraser par elles. M. Marion ne pense pas contre les gouvernements ni contre les religions : il pense sur les religions et les gouvernements. Ce n’est pas le moindre des éloges qu’on lui doit et entre lesquels on est embarrassé de choisir. Il me faut dire encore, bien qu’on se soit beaucoup servi de cette forme d’éloge, que ce livre est bienfaisant. L’auteur y garde, jusqu’à cette conclusion fâcheuse, une modération exquise ; il trouve toutes les objections ; il se garde de l’absolu, ce grand écueil. Cette façon de défendre la liberté, en en faisant voir toutes les limites, est la vraie. On aime d’autant plus ce qui nous reste, on le voit plus nettement. On est mieux disposé à en user pour le bien.

Ernest La visse.