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ment est nécessairement inégal. Il provoque les jalousies des nations moins riches, qui sont en même temps des nations plus fortes. Réfléchissons bien sur le phénomène de l’indemnité de guerre considérée comme châtiment du vaincu. Récemment apparu, il n’est point le dernier d’une série : on le verra reparaître.

Nous ne pouvons prévoir la fin de l’ère des batailles. En aucun temps, il n’y a eu autant de sujets de guerre dans notre Europe qu’aujourd’hui. Guerres pour venger les injures passées, guerres par antipathie, guerres de races, guerres pour la gloire, guerres pour l’argent, même guerres pour la religion : rien n’y manque. Supposons que toutes les questions en litige soient terminées. Faudra-t-il fermer et clouer les portes du temple de Janus ? Non. D’autres questions naîtront. Il est impossible de croire qu’il n’y ait pas jusqu’au bout des disputes entre les hommes.

Je veux bien que l’homme apôtre de M. Marion fasse souche, et que ses imitateurs à leur tour gagnent des disciples et fondent des générations où chacun soit « assez persuadé des lois de la solidarité pour s’en inspirer à son tour ». Donnons-leur le temps de travailler et ne leur mesurons pas les siècles. Sans doute, ils pourront réagir contre bien des fatalités morales et physiques. Il est, par exemple, des fatalités physiques qu’on supprime. On perce des montagnes, on coupe des isthmes : c’est une besogne qui va grand train. Pourvu que le sentiment de la solidarité soit dans la nombreuse famille de M. de Lesseps, ce qui reste d’isthmes est en péril. Mais quel concours de bonnes volontés suffira jamais pour supprimer l’action du milieu géographique ? Abrégerez-vous la nuit des pôles ? Atténuerez-vous l’ardeur du soleil à l’équateur ? Donnerez-vous à toute la terre la même capacité de produire ? Ferez-vous moins vigoureux le bras du Poméranien, qui arrache sa nourriture à la terre, moins mou celui de l’Indien, que la nature fait sobre et qu’en même temps elle accable de ses dons ? Ferez-vous que la terre nourricière ne donne pas le plus à ceux qui ont besoin du moins ? Cette éternelle différence des milieux, l’homme ne la supprimera jamais. Or, tant qu’il y aura des différences, il y aura des différends. Tant qu’il y aura des différends, il y aura la guerre.

D’ailleurs, cette universelle fusion dans une humanité idéale est-elle désirable ? Il est permis d’en douter. Pour l’affirmer, il faudrait pouvoir dresser le bilan des pertes et celui des profits qui en résulteraient. Le développement de la solidarité internationale amène une sorte de fusion. Les avantages sont visibles, mais aussi les inconvénients. Les importations intellectuelles et morales sont souvent dangereuses parce que l’objet importé se dénature. Nous avons la