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e. lavisse. — déterminisme historique et géographique.

par là, la fin le dit : c’est la cessation de toute injustice, de toute violence, la fin du crime dans les États, du crime entre les États, la paix sociale et la paix internationale.

Vraiment, c’est trop de logique. L’auteur a bien soin de marquer que le terme de ce progrès est lointain, très lointain, et de faire quelques réserves de mots. « Le progrès ne serait achevé (autant que nous pouvons concevoir comme réalisé un idéal) que le jour où la terre entière serait peuplée d’hommes parvenus individuellement à toute la perfection que comporte la nature humaine, tous unis, tous habitués et disposés à se considérer mutuellement comme fins. » Cette réserve était nécessaire. S’il arrivait qu’une nation « connue pour ne manquer ni de fierté ni de foi en elle-même », comme dit M. Marion, donnât dans notre Occident le salutaire exemple de « renoncer résolument à tout esprit de représailles », je redouterais fort pour cette nation les entreprises de ses voisines. Si notre Occident tout entier se faisait pacifique, je commencerais à me préoccuper des prédictions qui annoncent la conquête future de l’Europe par la race jaune. Les Chinois ont à la fois beaucoup de canons et beaucoup de chair à canon : deux conditions de gloire militaire. Ne sont-ils pas déjà en coquetterie avec l’empire d’Allemagne ? Les journaux militaires allemands n’ont-ils pas fait des calculs sur l’aide qu’ils pourraient tirer de la Chine, en cas de guerre avec la Russie ? N’est-ce pas ainsi qu’on a introduit les barbares jadis dans les affaires de l’Europe ? Mais il ne faut pas insister sur ces craintes d’apparence paradoxale. Il est entendu que nous ne désarmerons qu’après que les Chinois seront parvenus individuellement à la perfection. Nous voilà rejetés au terme lointain. Est-il du moins possible, admettre ce terme ? cela n’est point possible.

Le progrès de la civilisation, le développement des relations internationales ne diminuent pas les causes de guerre. La même science qui produit ou améliore les industries créatrices perfectionne l’industrie qui tue. On dit : La perfection des moyens de destruction finira par rendre la guerre impossible. C’est une erreur : les batailles d’aujourd’hui sont moins meurtrières que celles d’autrefois. Les instruments plus perfectionnés font que les hommes combattent de plus loin et en plus grand nombre. Voilà toute la différence. La brièveté même des guerres, conséquence de ce progrès d’une nature particulière, est un argument en faveur de la guerre. On dit d’une guerre, comme d’une opération chirurgicale, que l’on tient pour salutaire : Ce sera si vite fait ! Et l’on pratique l’opération. Quant au développement des relations internationales, par cela même qu’il aide à l’accroissement des richesses, il est cause de guerre. Cet accroisse-