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Je reproche à M. Marion de n’avoir pas assez marqué cette puissance du milieu, surtout de ne l’avoir pas démontrée par des exemples disposés chronologiquement. L’individu, dont il nous trace l’histoire, vit dans un milieu géographique et historique indéterminé. Je crains fort que M. Marion ne le voie plus libre qu’il n’est dans la réalité.

M. Marion examine ensuite l’individu dans la société organisée ; à propos de la solidarité dans l’État, il marque l’importance morale de la forme du gouvernement, et il encadre dans des pages excellentes un passage remarquable de Stuart Mill. Ici encore, l’historien trouve qu’il est trop procédé par abstraction. Certains gouvernements sont commandés par certaines latitudes et tous dépendent du milieu historique. L’historien conteste au philosophe le droit de légiférer sur le gouvernement populaire et sur le gouvernement absolu. Le gouvernement populaire et le gouvernement absolu n’existent pas in abstracto ; il n’y a pas deux gouvernements, populaires ou absolus, qui se ressemblent. Tel gouvernement populaire naîtra naturellement, comme la conclusion d’un long développement historique antérieur ; il est le point d’arrivée d’une marche continue du privilège vers l’égalité, du despotisme vers la liberté. Tel autre naîtra parce que les autres formes de gouvernement, essayées les unes après les autres, ont été condamnées irrémédiablement. La raison d’être du premier est positive, celle du second négative. Il en est de même des gouvernements absolus. L’ancienne monarchie française a eu sa raison d’être : elle est née d’une nécessité entrevue au premier jour de la dynastie capétienne. Au contraire, la monarchie impériale romaine est née après que les autres formes de gouvernement ont été successivement usées par le peuple romain. Aussi n’a-t-elle eu aucun des mérites de l’ancienne monarchie française ; elle ne s’est jamais senti une existence assurée ; elle a gardé une parodie des institutions républicaines : César a refusé le bandeau royal et ses successeurs n’ont point osé faire la monarchie héréditaire. Ils ont mis en eux-mêmes la république avec toutes ses magistratures : ils ne s’y sont point substitués. De là ces révolutions périodiques ; la monarchie romaine n’a jamais eu cette vertu qu’on estime être un des attributs de la monarchie, la stabilité. D’autre part on peut imaginer un gouvernement populaire où les traces de la monarchie soient si profondes que la liberté y soit difficile à pratiquer. Or jamais un gouvernement dont la raison d’être est négative n’aura sur les mœurs une action et des effets de même nature qu’un gouvernement dont la raison d’être est positive. Les gouvernements à raison d’être négatives sont ceux qui doivent être maniés avec le plus de prudence et servis avec le plus de désintéressement par les