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On peut demander comment il se fait que ce rapport s’établisse ; mais il ne s’agit pas pour le moment de montrer comment s’effectuent les opérations mentales : il s’agit de les analyser et de montrer qu’elles n’impliquent pas une substance ; or nous voyons que dans ce cas, si l’impression exige un objet impressionné, cet objet impressionné peut être purement phénoménal. Ici encore d’ailleurs, non seulement la substance n’est pas nécessaire, mais encore elle n’est pas utile.

Comment pouvons-nous regarder les impressions et les idées qui composent la conscience comme nos impressions et nos idées ? C’est en entendant par là un rapport établi entre le groupe de phénomènes et le phénomène symbolique qui constitue le moi, et une représentation faible ou vive quelconque. Ce que nous avons déjà dit peut servir à comprendre comment on peut interpréter les expressions usuelles. Quand on dit : Je vois, on établit simplement le rapport que j’indique, et la preuve, c’est que, quand l’impression devient trop forte et absorbe la conscience entière, nous ne la rodons plus comme nôtre, l’idée du moi disparaît à peu près entièrement ; l’un des deux termes s’évanouissant presque, le rapport s’évanouit avec lui. Ce n’est que lorsque le terme, un moment absent, revient à la conscience que le rapport reparaît. Et si après coup nous regardons l’impression comme nôtre, c’est en établissant un rapport entre elles et les autres impressions et idées qui constituent le moi.

Ayant une intuition de notre existence personnelle, pourquoi la rejetterions-nous ? Mais l’expérience nous apprend souvent que nos intuitions ne correspondent pas à la réalité. L’unité que nous voyons dans une statue n’existe pas dans la statue, elle n’existe que dans la conscience ; c’est le rapport des parties entre elles. De même, on peut le dire, puisque, comme nous l’avons vu, l’unité du moi n’est pas autrement, perçue que l’unité d’une statue, l’unité du moi n’existe pas dans le moi : elle n’existe que dans la représentation qui s’en forme dans la conscience, ce qui existe dans le moi, ce sont des phénomènes qui ont eu lieu dans un certain ordre. Il faut bien, encore ici, distinguer entre le moi ensemble de phénomènes de conscience et la représentation fragmentaire et symbolique du moi dans un fait de conscience[1].

Ainsi je crois que l’analyse psychologique conduit à ne pas admettre la nécessité de la substance. Mais ces données de l’analyse psy-

  1. Voir d’autres analyses dans Taine : De l’Intelligence, volume I, livre IV, chap. III.