Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/71

Cette page n’a pas encore été corrigée
61
f. paulhan. — la personnalité.

rien par les relations diverses qu’ils peuvent avoir, il n’y aurait plus deux hommes, il n’y en aurait qu’un ; il en serait d’eux comme des lignes droites qu’on veut faire passer par les mêmes points : elles se confondent et n’en forment qu’une.

Voyons maintenant les objections faites par M. Herbert Spencer. Voici comment il les expose : « Comment la conscience peut-elle se résoudre en impressions et en idées quand une impression implique nécessairement l’existence de quelque chose d’impressionné ? Ou bien encore, comment le sceptique qui a décomposé sa conscience en impressions et en idées peut-il expliquer qu’il les regarde encore comme ses impressions et ses idées ? Ou encore une fois, si, comme il y est forcé, il admet qu’il a une intuition de son existence personnelle, quelle raison peut-il alléguer pour rejeter cette intuition comme n’étant pas réelle, tandis qu’il accepte les autres comme réelles. À moins de donner des réponses satisfaisantes à ces questions, ce qu’il ne peut faire, il faut qu’il abandonne ses conclusions et qu’il admette la réalité de l’esprit individuel. »

M. Spencer reconnaît ensuite que la croyance contraire n’est pas « justifiable devant la raison » ; « bien plus, dit-il : quand la raison est mise en demeure de rendre un jugement formel, elle la condamne. » Nous serions donc placés entre deux doctrines inadmissibles. Mais je ne pense pas que les objections de M. Spencer contre la théorie phénoméniste soient irréfutables, et je vais essayer d’y répondre brièvement.

Une impression, dit-il, exige nécessairement l’existence de quelque chose qui est impressionné. J’admets volontiers ce principe, mais je crois qu’il ne nuit en rien à la théorie phénoméniste. Qu’est-ce en effet que ce quelque chose qui est impressionné ? N’est-ce pas un groupe de phénomènes ? Nous retrouvons ici un principe du genre de celui-ci : tout phénomène suppose une substance. Ce principe s’interprète positivement ainsi : tout phénomène fait partie d’un groupe de phénomènes avec lesquels il a certaines relations. De même, quand nous disons qu’une impression suppose quelque chose d’impressionné, nous voulons dire : un certain phénomène (impression) suppose un groupe de phénomènes (quelque chose) qui est impressionné, c’est-à-dire qui reçoit l’impression. L’impression est donc un phénomène qui se met en un certain rapport avec les phénomènes existant déjà, et les autres phénomènes sont les autres impressions et les autres idées. Quand je dis, par exemple : Je vois telle chose, un rapport s’établit entre le moi, groupe de phénomènes symboliquement représentés dans le fait de conscience actuel, et la représentation actuelle.