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en disant que, dans les diverses écoles qui aujourd’hui ont la prétention d’avoir adopté la méthode scientifique, cette préoccupation est fort à désirer. La métaphore y fleurit, et cela au grand préjudice de la science et de ses meilleurs travaux. Cette brochure, comme le livre dont elle est la suite, vient donc, selon nous, à propos pour réveiller, sur ce point, l’attention distraite et remettre cette question trop négligée à l’ordre du jour. Les exemples tirées de l’histoire qu’elle met sous les yeux montrent avec évidence combien il importe, si l’on ne veut pas faire fausse route et s’exposer aux plus grossières erreurs, non seulement de soumettre à un contrôle sévère, les termes techniques dont se sert le philosophe pour fixer et définir ses idées, mais de vérifier la valeur et mesurer la portée des images qu’il emploie soit pour orner sa diction, soit pour donner une clarté sensible à ses idées et les faire entrer plus facilement dans les intelligences, soit même pour suppléer à ce qui manque à sa propre pensée, la former et la développer. À notre grand regret, nous sommes forcé de laisser de côté toute cette partie historique, qui est fort instructive et très intéressante. L’auteur s’y attache à mettre en relief le rapport qu’offrent aux différentes époques et chez quelques-uns des principaux penseurs, Platon, Aristote, les Stoïciens, les Alexandrins, les philosophes modernes, Descartes, Leibnitz, etc., le caractère, la tournure de leur esprit, leur pensée dominante, avec les images et les comparaisons qui leur sont habituelles.

Nous aurions voulu surtout consacrer un examen plus approfondi et plus sérieux à la question qui se trouve ici peut-être trop mêlée à l’histoire, celle du rapport de l’image ou de la comparaison avec la pensée elle-même, des avantages et des dangers ou des inconvénients de ce mode d’expression, des erreurs presque inévitables, auxquels il entraîne, des moyens de s’en préserver et des règles à suivre dans son emploi. Tout cela sans doute apparaît un peu disséminé dans l’esquisse rapide de M. Eucken, mais aurait besoin d’être condensé et précisé pour produire son effet. Nous engageons l’auteur à traiter cette question in extenso et à en faire l’objet d’une thèse spéciale, que son érudition et son savoir historique joints à sa sagacité philosophique ne manqueront pas de rendre aussi utile que pleine d’intérêt. En attendant, dégageons de ce petit écrit quelques-unes des pensées les plus générales qu’il renferme à ce sujet et qui en sont la principale conclusion :

1o L’emploi des images et des comparaisons dan la langue philosophique est inévitable. En vain le penseur le plus sévère voudrait-il s’en passer, il ne pourrait se soustraire à cette nécessité. Nous habitons deux mondes à la fois ; notre esprit même, lorsqu’il s’occupe des idées les plus intellectuelles, ne peul se détacher des choses sensibles. D’ailleurs l’analogie, qui est la base des comparaisons et justifie leur emploi, est un procédé que les sciences elles-mêmes reconnaissent pour légitime et dont elles se servent. Mais il ne faut pas en être dupe et lui attribuer la place qu’il ne doit pas avoir. Cette méthode est toujours indirecte et